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puis je rechercherai en quelle mesure elle concorde avec sa vie légendaire, et quelle explication l’on peut proposer de ces concordances. Comment les jongleurs presque illettrés du XIIe siècle ont-ils pu connaître des faits historiques du IXe ? et le nom même de cet homme mort depuis trois cents ans ? D’où leur a pu venir le pouvoir et le goût de s’intéresser à ce passé lointain ? Il faut, nous dit-on, qu’une tradition poétique ininterrompue leur ait transmis le souvenir de Girard et de ses exploits ; il faut que ce personnage ait été célébré par des aèdes de son vivant même, ou dès le lendemain de sa mort, en des chants épiques, et que notre poème du XIIe siècle ne soit qu’un renouvellement tardif de ces « cantilènes » ou de ces « chants lyrico-épiques » du IXe et du Xe siècle. C’est la thèse que soutenait déjà Fauriel et que, depuis, tous les critiques, sauf M. Paul Meyer, ont adoptée[1].

Voici donc les traits essentiels de la biographie du comte Girard.

Il était d’origine alsacienne ; son père, le comte Leuthard, avait été l’un des fidèles de Louis le Pieux, alors roi d’Aquitaine, et pourvu par lui en 801 du comté de Fezensac. À cette date de 801, Girard était né déjà, car il paraît dès 819 dans des chartes comme marié à une femme nommée Berte. Dès 819 aussi, il possédait des biens dans le pays d’Avallon, et il y acquit, avant 840, le domaine de Vézelay. En 836, il semble avoir exercé quelque temps des fonctions de missus en Italie. De 837 à 840, il fut pourvu de l’office de comte de Paris[2], qu’il perdit en 841, peu après l’avènement de Charles le Chauve : car, ayant passé alors au parti de l’empereur Lothaire, il coupa les ponts sur la Seine pour faire obstacle à Charles le Chauve, qui revenait alors d’une expédition en Aquitaine. Cette équipée lui fit perdre le comté de Paris ; on ne sait s’il prit part à la bataille de Fontenay en 841 ; toujours est-il qu’il s’attacha désormais à la fortune de l’empereur Lothaire et que sa vie politique se déroule hors du royaume de Charles le Chauve : en 842, Lothaire le nomma, semble-t-il, comte du palais, et « dès 840, il l’investit d’une certaine autorité dans la partie méridionale de ses Etats. »

  1. Voyez Fauriel, dans l’Histoire littéraire de la France (t. XXII, 1852, p. 167-190) ; Albert Stimming, Ueber den provenzalischen Girart von Roussillon, Halle, 1888 ; Léo Jordan, Girartstudien dans les Romanische Forschungen, t. XIV (1902).
  2. Hypothèse de M. Longnon (p. 249), dont M. Poupardin (p. 12, note 2) a montré qu’elle est à peu près certaine.