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le roi… Jamais je ne prendrai pénitence jusqu’à ce que je lui aie fait voir la mort de près. Si jamais je puis porter lance et écu, je trouverai moyen de me venger de lui. » L’ermite dit : « Grand péché s’est emparé de toi. Comment penses-tu arriver jamais à te venger ? Quand tu étais un homme puissant, Charles t’a vaincu, c’est toi-même qui le dis. — Seigneur, dit Girard, je ne veux rien vous cacher… Lorsque Charles ira chasser dans les grands parcs, je sais bien les endroits où il tire à l’arc. Là je pense me mettre en embuscade et le tuer… » Quand l’ermite l’entendit, il s’irrita : « Je sais ce qui t’a fait tomber si bas ; c’est le même orgueil qui a précipité du ciel des anges de haute puissance. Tu étais un comte de grande valeur, et maintenant péché et orgueil t’ont si abattu que tu ne possèdes que les vêtemens que tu portes. Tu viens de m’avouer que, si tu peux jamais avoir cheval, lance et écu, tu occiras ton seigneur en un bois épais. C’est le démon qui le déçoit. J’ai peur qu’il te tue en telle disposition : alors il te possédera tout entier. » Quand Berte entendit le vieillard, elle se jeta à ses pieds et les lui baisa. Elle pleura longtemps, immobile : « Seigneur, pour Dieu, grâce pour ce malheureux ! » L’ermite la relève et lui dit : « Je ne sais rien vous dire de plus. Dieu vous soit en aide, car vous avez perdu ce monde et l’autre ! » « Ami, reprend-il, comment n’es-tu pas épouvanté ? En ta jeunesse tu as employé ta fleur à mal faire, et maintenant tu veux encore tuer ton droit seigneur… Sais-tu quelle justice on doit faire d’un traître ? On doit l’écarteler avec des chevaux, le brûler sur le bûcher, et là où sa cendre tombe, il ne croit plus d’herbe et le labour reste inutile ; les arbres, la verdure y dépérissent. » À ces mots, la dame ne peut s’empêcher de pleurer : « Girard, repentez-vous, dit-elle. Renoncez à toute rancune envers tout homme et particulièrement envers Charles, votre roi empereur. — Dame, dit Girard, je lui pardonne pour l’amour de Dieu. » Et l’ermite répond : « J’en rends grâces à Dieu (§ 517-20). »


Girard a consenti à tout ce que l’ermite a voulu. Le prud’homme en rit de joie. Il interdit à Girard l’usage du cheval et des armes jusqu’à un terme fixé, alors qu’il aura fait pénitence pour ses péchés ; et il lui donne part, tant qu’il vivra, en ses bonnes œuvres. En partant, Girard pleura ; l’ermite lit sur les misérables le signe de la croix, les bénit et leur enseigna la route par la forêt antique. Avant qu’ils en fussent sortis, des marchands qu’ils rencontrèrent leur apprirent comment le roi avait envoyé jusque dans les pays lointains des messagers pour ordonner de tuer Girard de Roussillon. Berte s’épouvante : « Girard de Roussillon est mort, s’écrie-t-elle, je l’ai vu mettre dans la terre. — Dieu en soit loué ! » répondent les marchands, car il faisait toujours la guerre et par lui nous avons souffert bien des maux. » Girard les entend et s’irrite ; s’il avait eu son épée, il en aurait frappé l’un d’eux. Béni soit le saint ermite qui lui a interdit de porter des armes !