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le grand écrivain à sa table de travail, en plein labeur et en pleine fièvre de composition littéraire ; une étude de ce genre, si elle était possible, ne saurait manquer d’être très révélatrice de sa tournure spontanée de pensée et de ses procédés d’art et de style.

Cette étude, il faut renoncer à pouvoir jamais l’entreprendre. Chateaubriand n’était pas homme à conserver, pour l’édification des critiques futurs, le souvenir trop précis de ses tâtonnemens et la suite minutieuse de ses ratures. Mais il avait gardé le manuscrit définitif de son poème en prose, et il en avait fait hommage à son vieil ami, M. Bertin aîné, l’un des deux directeurs du Journal des Débats. Du précieux manuscrit, il ne subsiste aujourd’hui que deux fragmens, assez considérables, il est vrai, et, si je ne m’abuse, l’intérêt en est assez grand pour nous faire regretter la disparition du reste, et en même temps, pour nous en consoler un peu[1].

Deux « livres » presque entiers, sur vingt-quatre, ont été conservés : le livre XVI, — celui-ci est complet, et de l’écriture d’un secrétaire : — c’est celui qui contient les trois harangues de Symmaque, d’Hiéroclès et d’Eudore en présence de Dioclétien et de Galérius ; et le livre XIX, — il y manque les cinq ou six premières pages, — dont les trois quarts sont de la main de Chateaubriand, lequel a d’ailleurs fait des corrections sur toutes les parties non autographes : c’est celui qui nous raconte le baptême de Cymodocée, son départ pour la Grèce, et, à la suite d’une violente tempête, son arrivée en Italie. A différens signes, — le nom des ouvriers typographes y figure encore, — on peut reconnaître que ces fragmens appartenaient au manuscrit même qui fut envoyé à l’impression, et donc, et en un certain sens, au manuscrit définitif du poème. Je dis : en un certain sens ; car, sans parler même des nombreuses corrections et ratures dont ces deux livres, surtout le second, portent la trace, ils présentent, si on les compare au texte imprimé, de si nombreuses et de si importantes variantes, que l’on peut conclure que Chateaubriand a dû revoir et corriger de fort près plusieurs séries d’épreuves. Il était de ces écrivains pour lesquels le mot « définitif » n’offre guère de signification.

Quoi qu’il en soit, la simple comparaison des deux seules versions qui nous aient été conservées, celle des fragmens manuscrits et celle

  1. Ces fragmens nous ont été confiés par Mme la comtesse de R***, à laquelle nous sommes heureux d’exprimer ici notre respectueuse gratitude. Ils feront bientôt l’objet d’une publication intégrale.