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génial, son culte passionné de soi-même étaient sans doute des élémens propres à créer un grand poète lyrique ; pourtant Whitman démontre, avec plus d’évidence que les autres écrivains auxquels M. Stedman donne une place dans son Anthologie, la vanité de l’effort poétique aux Etats-Unis. Ils étaient nés, ces poètes dans un pays qui, sans passer par les bégaiemens du berceau, a trouvé tout de suite à son service une langue faite, comme sur un autre terrain il a débuté par la voie ferrée, en sautant l’étape de la route ; un pays dont les pensées et les rêves ont plié sous le poids des conceptions les plus austères ; un pays dont la musique nationale a été le grincement des machines ; un pays qui a eu pour clocher une cheminée d’usine ; un pays qui, au temps de la jeunesse de Whitman, avait le culte de la prospérité pour foi, la conquête de l’argent pour but ; un pays qui a considéré longtemps la beauté comme un luxe, l’utilité comme une excuse de la laideur, l’individualisme forcené comme le moyen d’éveiller chez l’homme la plus haute puissance d’action et d’éduquer le plus noblement son caractère : ce pays-là, quelques miracles qu’il ait produits, ne pouvait pas espérer qu’il ajouterait à leur liste la création d’une poésie. Les œuvres en vers écrites par les Américains qui viennent d’être nommés ne dessinent la courbe d’aucune évolution littéraire. On pourrait, sans le diminuer, retirer du patrimoine poétique de l’Angleterre la maigre contribution des Etats-Unis. Ces poètes d’outremer sont intéressans dans la mesure où ils éclairent pour nous le fond de l’âme américaine. Ils ont écrit l’histoire des états de sentiment, de crainte, d’espérance, que les spectacles de la nature, l’idée de Dieu et les préoccupations morales ou sociales éveillaient autour d’eux, dans un peuple jeune.


VAN VORST.