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croyance libre, fondée sur les aspirations individuelles. Il écrit dans le Problème : « J’aime une église ; j’aime un capuchon de moine. Les ogives d’un cloître descendent en chantant dans mon cœur, comme une jolie musique, comme un sourire que la pensée abaisse. Et pourtant, quelles que soient les visions dont sa foi le gratifie, je ne voudrais pas être ce moine à capuchon. » Ailleurs, dans le poème de Threnody, écrit à la mort de son fils, il dit au milieu d’une lamentation d’une poignante beauté : « Je t’avais donné des yeux pour voir, qu’en as-tu fait ? J’avais appris à ton cœur à marcher en dehors des rites, des bibles révélées. Je venais à toi comme à un ami. O très cher, je ne t’ai pas envoyé de maîtres, mais je te voulais un œil joyeux, une innocence qui fit envie au ciel, l’élan vers l’enthousiasme, le rire, afin que tu pusses cueillir librement la fleur splendide à la cime des arts. »

Emerson fut le premier aux Etats-Unis à prêcher — non plus sur l’au-delà et ses terreurs, — mais sur le chapitre des devoirs de l’homme envers les autres hommes. Il se plaçait particulièrement au point de vue d’une société née de la veille, qui voulait mettre une liberté gagnée de haute lutte au service d’un idéal nouveau.

Beaucoup de poèmes le montrent sous la figure d’un socialiste plutôt que sous les traits d’un poète : le Muskesaquid, Each and All, Demomacal Love, Illusions, etc. Son Ode à Boston s’ouvre par ces paroles surprenantes : « Ce commandement du Seigneur descendit sur le puritain qui veillait : — Je suis las des rois ; je ne les tolérerai pas plus longtemps. A mon oreille le malin apporte le cri des pauvres outragés ; crois-tu que j’ai fait cet univers pour qu’il soit un champ de déprédation et de guerre ? pour que les tyrans, grands et petits, aient l’occasion d’opprimer le faible et le pauvre ? Mon ange favori… son nom est liberté. Prenez-le pour en faire votre roi. Je ne souffrirai plus un noble ; nulle lignée ne sera dite haute : des pêcheurs, des bûcherons, des fermiers formeront entre eux un Etat. »

De l’amour, il n’en est pas question à travers l’œuvre d’Emerson, si ce n’est dans un certain poème d’allure philosophique qui a pour titre ‘ : Amour créateur, démoniaque, céleste. Le Rhodora, publié parmi les pièces de jeunesse quand l’écrivain atteignait sa trente-sixième année, atteste le goût de l’observation esthétique. Cette aptitude, à une autre époque et