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comment la même éducation, la même tradition, la même inspiration qui donnaient à l’esprit américain sa belle qualité morale, ont limité et entravé son génie poétique : « Vis de telle sorte que lorsque tu seras appelé à rejoindre l’innombrable caravane, en route vers le mystérieux royaume où chacun prendra sa place dans les demeures silencieuses de la mort, tu n’avances pas comme l’esclave de la mine, que l’on pousse dans la nuit vers sa fosse ; mais approche-toi de la tombe, calme et soutenu par ta foi sans défaillance, tel un dormeur qui, sur sa couche, enroule son drap autour de soi et s’allonge pour des rêves réconfortans. » M. Stedman juge Thanatopsis en ces termes : « D’autres adolescens ont montré dans leurs essais poétiques une précocité égale, mais pas un homme de cet âge n’a composé un poème qui ait exercé une influence si haute et si durable sur la littérature d’une nation. »

William Cullen Bryant, qui naquit en 1794, a publié des vers pendant soixante-dix ans. Même après une lecture très attentive et entière de son œuvre, il est impossible de dire à quelle époque de sa vie le poète a été jeune. A vingt-sept ans, il épousa miss Fairchild, à qui il a dédié plusieurs poèmes composés au cours des cinquante années de leur paisible union : « O la plus belle des filles de notre campagne ! La forêt profonde, là où nul n’a laissé sa trace, est moins vierge que l’on sein. » Si l’on ajoute à ces vers de petites pièces comme la Vie future, dans laquelle le poète exprime l’espoir que sa femme lui apparaîtra dans la sphère des corps glorieux telle qu’il l’a connue, — comme la Vie qui est, une douce oraison de gratitude adressée à Dieu après une sérieuse maladie de la « très chère épouse, » — on aura tout le bouquet de poésies que Bryant ait jamais adressées à une femme.

Ceux qui ont voyagé à travers les États du Nord de l’Amérique y ont admiré la beauté de l’automne et ont remarqué la faillite du printemps. A peine les neiges d’hiver sont-elles fondues que la subite ardeur du soleil appelle les fermiers à leurs jardins et à leurs champs. C’est l’histoire des poètes américains. D’un saut ils passent de l’inexpérience indifférente à la fièvre de la vie active, et c’est seulement à la minute où leur flamme décroît comme un été mourant de la Saint-Martin, — l’ « Indian Summer » d’outre-mer, — qu’ils se prennent à rayonner, pour la première fois, dans des rêveries d’automne.