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aventure de cœur. Évidemment, dans les strophes A ma camarade de jeux, il y a l’évocation d’un attachement de jeunesse dont le souvenir est trop émouvant pour qu’il puisse être ressuscité sans un tremblement de voix, mais c’est tout : « Les fleurs neigeaient sur nos pieds, les oiseaux du verger chantaient clair, et j’ai senti que c’était le jour le plus doux, le plus douloureux de l’année. Ma petite camarade a quitté sa maison. Fidèlement les années ont égrené leurs saisons, mais elle n’est pas revenue. Les nénuphars s’épanouissent sur l’étang, l’oiseau bâtit dans l’arbre. Je vois ses traits, j’entends sa voix… Te souvient-il de moi, ô petite camarade des jours dorés ? Toujours les sapins de la forêt de Ramoth sanglotent comme la mer, le sanglot de la vague d’oubli qui, entre elle et moi, roule. »

Tout le charme de Whittier, toute sa grâce, nous les trouvons dans une ballade intitulée : Paroles aux abeilles. Le rythme est vraiment musical, cette fois, et le poète retrace avec un art achevé une scène de la vie campagnarde dans la Nouvelle-Angleterre : « Voici l’endroit… A travers la colline court le sentier que j’avais pris. On voit encore la brèche dans le vieux mur et le gué à fleur de ruisseau. Là est la maison avec la grille aux barreaux rouges et les hauts peupliers, la longue ligne brune des étables et l’enclos du bétail, et les blancheurs des cornes qui remuent au-dessus du mur. Ici, les ruches alignées dans le soleil, et là-bas, le long du ruisseau, ces pauvres fleurs que la mauvaise herbe étouffe : pensées, jonquilles, roses et œillets. Une année vient de se traîner comme une tortue, pesante et lente, et la même rose fleurit et la même eau dit les choses de l’an passé. Le même parfum de trèfle m’arrive avec la brise et le brûlant soleil de juin heurte aux arbres ses ailes de feu ; il se couche, comme alors, sur la ferme de Fernside. Je me rappelle comment, avec une précaution d’amoureux, de mon habit du dimanche j’arrachais les petites bourres, comme j’aplanissais mes cheveux et rafraîchissais dans l’eau mon front et mes lèvres. Il y avait un mois que nous nous étions quittés… une année pour l’amour ! Enfin, j’ai aperçu à travers les hêtres la petite barrière rouge et la margelle du puits. Maintenant, tout cela je le vois : l’averse des rayons sur les feuilles, l’incendie du soleil aux vitres de ses fenêtres, la foison des roses à l’abri du toit. Rien n’est changé que les ruches des abeilles. A leurs pieds, le long du mur du jardin qui les protège, la fillette de la ferme va et