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« Il faut aller auprès de lui. » Et des passeports ?… Mon père se rendit aussitôt à la commandature, et fut introduit dans un salon où des officiers, le verre en main, chantaient leur triomphe. C’étaient partout des fleurs, des branches encore vertes formant sur le mur un trophée d’armes et de drapeaux au centre duquel on lisait ces mots : Paris capiturlit !… Lorsque mon père entra, tous ces hommes se turent et se levèrent pour le saluer. S’avançant vers le général, il lui exprima ce qu’il attendait de lui. On ne le comprit pas[1].

L’officier français s’en alla, le cœur brisé. Au dehors, ma mère l’attendait, tout à la fois confiante et craintive. Atteints dans un droit aussi sacré, ils eurent un cri d’amertume, presque de haine. Tous deux reprirent le chemin de notre triste demeure et s’y enfermèrent dans une sorte de stupeur. De telles secousses aggravaient l’état de mon père et cette affection du cœur allant toujours croissant pesa sur nous désormais de tout le poids d’un chagrin nouveau.


VI

L’occupation étrangère durait. Les régimens allemands sillonnaient les routes, leurs canons encombraient les places publiques, des trains nombreux commençaient à les emporter vers la frontière. Cependant notre maison en était encore remplie.

Mars 1871.

Je ne puis revenir auprès de vous, — écrivait mon frère. — Lorsque vous me direz « il n’y en a plus, » j’arriverai.

Cela ne finissait pas. « Je n’en puis plus de le revoir, » disait mon père. Il rentra, mais dans quelle colère !…


A Mme M. G…, à Genève.

Avril 1871.

Ils sont là, sous mes fenêtres, à ma porte, partout, dans nos rues, dans nos églises, sous notre ciel, sous nos toits. Heureux, ils chantent !

On voudrait ne pas les voir et on les entend comme une lourde volée d’oiseaux. C’est, au passage des régimens, un bruit sourd et prolongé. Cela fait mal.

Comment mon pauvre père, si jaloux de la patrie, a-t-il supporté ce long hiver ?

  1. Depuis la reddition de Paris, ne pouvait-on librement circuler en France ?