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je les admire, je les aime. Nous n’avons qu’un peu de chocolat, on le partage (les hommes comme les officiers n’en ont guère). — On souffre, — mais on souffre ensemble. Aussi quelle confiance ils ont en nous ! Ce sont des enfans pour la soumission, des barres de fer pour le devoir, le courage, l’impassibilité. Animés de toutes les vertus patriotiques, ils ont les pieds en sang, mais ils vont où on les envoie, — sans murmurer, sans discuter nos ordres, — ils marcheront ainsi à l’ennemi, à la mort, simplement, car rien ne les enlève, ni ambition, ni enthousiasme.

Je me trompe, ils ont un idéal, leur foi sublime. La plupart de mes hommes sont de la Bretagne. Leur abbé, M. du Maralhack[1], sait parler leur patois, presqu’une langue. Ils se confessent, entendent la messe ; d’une roche dont il balaie la neige, ou d’un tambour, ce prêtre admirable, cet apôtre fait un autel. Tous ses gars viennent s’y agenouiller. C’est beau.

Ensuite, M. du Maralhack va de l’un à l’autre : — Tu sais, il faut entrer au ciel par la grand’porte, — red eo[2], — mourir pour mourir, fais-le crânement, comme un vrai Breton, — et répète après moi : Christianus sum. — Ils peuvent être tués ensuite[3], pas un ne tremble. Ta main, ami — et… A Dieu vat.

Fragment d’un rapport de l’amiral Jaurès au général Chanzy.


Camp de Bresloup, 16 décembre 1870.

… L’ennemi était dans Fréteval, et la mousqueterie fut des plus violentes. J’envoyai le colonel du Temple avec deux bataillons se joindre à l’attaque de la gare, et je leur donnai l’ordre de reprendre Fréteval avec le concours du bataillon de marine, commandant Collet[4].

  1. S’appelait-il ainsi ou le désignait-on comme habitant de la place du Maralhack, à Lannion ?
  2. En breton : « il le faut. »
  3. Un brillant orateur écrivait naguère : « Le risque de la mort encouru, accepté, bravé, y mêle de la noblesse, puisque peut-être il n’y a rien de plus noble à des mortels que de mépriser la mort. »
  4. Il y a erreur. Le combat du 14 dura trois heures, le commandant Collet y fut blessé. Le lendemain 15, 1e combat recommençait à l’arme blanche… Une lutte corps à corps s’engage avec l’ennemi, — il faut absolument réussir coûte que coûte. (L’Armée de la Loire, par M. Gressert.) C’est le 15 décembre que Le Brieux fut blessé. Le commandant Collet était mort la veille, deux heures après sa blessure.