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En rade de Taïti-Papeïti.

Quand Le Brieux n’a pas flamberge au poing, c’est un excursionniste enragé ; lorsqu’il n’a pas de montagne à gravir, de précipices à franchir, il se déclare l’ami des arts.

A Valparaiso on jouait de la mandoline, il avait une mandoline (qu’il abandonna sans regret) et chantait en langue espagnole.

Il dessine, il peint, et versifie lorsqu’il est en mer ; sur terre il contemple la belle nature.

En ce moment, nous le soupçonnons d’être aux pieds d’une idole moins insensible (la suave Aimata) et de brûler sur son autel un encens très flatteur.

S’il m’entendait, il m’enverrait à tous les diables. Baste ! ne sommes-nous pas tous les mêmes, amoureux pendant la paix, amoureux pendant la guerre, mais cette fois de notre patrie, — austère maîtresse, — ne sacrifiant ni nos principes, ni nos devoirs à nos plaisirs ?

Alors hurrah pour la France, la marine, la jeunesse et… nos amours !

M. Robert Le Brieux à Mme Le Brieux.

Ile de Talti.

Chère mère, depuis quarante-huit heures nous sommes dans le royaume de la reine Pomaré, Pomaré IV, de son petit nom Aimata. Il est joli, ce prénom. Sur cet être, — si différent de nos Françaises, — d’aspect dur et sombre, de couleur aussi, on ne peut mettre d’âge.

Fort laide, tout à fait laide, elle a quelque chose cependant de remarquable : entre les yeux, remontant jusqu’à la naissance des cheveux, s’est creusé un sillon profond, pli de volonté qui dénote son énergie[1].

J’ai le temps de vous raconter la réception que nous lui fîmes avant-hier à bord ; — l’équipage eut grand’peine à tenir son sérieux, — nous aussi.

  1. En effet, c’est Pomaré IV qui, se débattant entre des oppositions religieuses non moins absolues que les avidités inavouées de quelques puissances maritimes, demanda et obtint, en 1844, le protectorat de la France, réservant toutes les libertés. Voyez, dans la Revue du 15 janvier 1872, les Missions extérieures de la marine. — Le Protectorat de la France à Taïti, par le vice-amiral Jurien de la Gravière.