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étaient acquises. La légende de notre découragement et celle de notre isolement, répandues par l’Allemagne à la faveur de la crise ministérielle, s’effondraient ; et l’édifice de nos alliances et de nos amitiés apparaissait plus solide que jamais. Le danger de la veille ajoutait même quelque chose à la sécurité présente : le bénéfice du contraste nous fortifiait encore. La négociation pouvait être reprise au point où la chute du cabinet Rouvier l’avait interrompue. Le terrain perdu du 7 au 14 mars était regagné. Et nous nous retrouvions à pied d’œuvre. Quelques heures d’énergie, de décision et de publicité avaient fait plus que des mois de patience et de discrétion. Il restait à trancher la question de Casablanca. Pour l’aborder, nous étions doublement armés, puisque nous étions décidés à ne point reculer et que l’Europe entière savait, grâce aux déclarations officielles et publiques des puissances intéressées, que cette décision rencontrait l’unanime approbation de nos alliés et de nos amis.

L’Allemagne, à ce moment même, tentait un dernier effort pour nous déterminer à capituler. Elle essayait encore d’emporter de haute lutte le succès que lui avait fait espérer la chute de M. Rouvier. A Vienne, son ambassadeur, le général de Wedel, affirmait énergiquement que c’était fini des concessions : la France accepterait tel quel le projet autrichien, ou la conférence serait rompue[1]. A Paris, le samedi 17, le prince de Radolin venait au ministère et il priait M. Bourgeois, avec insistance, de céder sur Casablanca, « base nécessaire du contrôle de l’inspecteur. » Comme le ministre déclarait de nouveau que nous ne consentirions jamais à une solution internationale introduisant une troisième puissance au Maroc, à une solution illogique confondant l’inspection et le commandement, à une solution humiliante annulant par un détour le mandat qu’on disait nous confier, le prince, d’un ton inquiet, exprima la crainte qu’il n’y eût pas moyen de s’entendre. M. Léon Bourgeois ne se laissa pas troubler par cette appréhension et répondit simplement que la France, en acceptant l’inspection, avait pris du projet autrichien ce qu’elle en pouvait prendre ; que l’Allemagne n’avait rien pris du projet français, et qu’au contraire, au cours de la crise ministérielle, elle avait exercé, sur nous et nos amis, une pression difficile à accorder avec des dispositions conciliantes.

  1. Le général de Wedel tenait publiquement ces propos qui nous ont été rapportés par deux de ses collègues.