Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapprochement tout leur sens. Jusque-là, on est sans défense. On sent peser sur soi une lourde atmosphère qu’on ne peut secouer. On devine le danger sans le voir. On est désorienté, et plus qu’à demi vaincu, avant d’avoir essayé une résistance que l’on ne sait où diriger. C’était le cas de notre diplomatie.

A Paris, M. Rouvier quittait le ministère. Il avait rempli son devoir en prescrivant à M. Révoil de s’en tenir à ses instructions, de ne rien céder sur Casablanca et de ne consentir à l’inspection que si satisfaction complète nous était donnée quant à la nationalité des instructeurs. A Algésiras, la délégation française qui, six jours plus tôt, avait pu se croire au port, était démoralisée par le retour offensif de l’Allemagne, et plus profondément qu’elle ne s’en rendait compte. Elle continuait, — M. Révoil dans ses conversations avec ses collègues, M. Regnault dans les séances difficiles du comité de rédaction, — à défendre fermement ses positions. Mais, à se sentir serrée chaque jour de plus près, à lire dans les journaux d’outre-Rhin les attaques dont elle était l’objet, elle ne trouvait pas dans les instructions qui lui venaient de Paris de la part d’un ministre démissionnaire et lui prescrivaient de ne point céder, une suffisante raison de confiance. Elle connaissait, pour l’avoir déjà rencontré sur sa route, l’ardent désir d’en finir et de fuir les responsabilités, dont étaient animés certains des plénipotentiaires. Elle savait que l’Angleterre, la Russie, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la suivraient jusqu’au bout. Mais que déciderait le ministre de demain ? Elle l’ignorait : or, l’ignorance irrite les nerfs. Et la nervosité dont elle souffrait, expression réflexe de la plus respectable angoisse patriotique, n’échappait pas, quelque effort qu’elle fît, aux regards hostiles ou simplement curieux. En examinant la troublante alternative du risque des concessions ou du danger d’une rupture, elle diminuait inconsciemment sa capacité de résistance. Et quand elle évaluait les chances que nous réservait un nouveau vote, elle inclinait au pessimisme.

Sans doute, le projet non amendé n’était pas acceptable, puisqu’il équivalait à la solution internationale repoussée par nous dès le premier jour, substituait un mandat à trois à un mandat à deux, ouvrait la porte à toutes les intrigues européennes et mettait au-dessus du Sultan le corps diplomatique de Tanger. Mais, d’autre part, quelles seraient les suites de la rupture ? Et à quoi bon cette rupture, puisque, malgré la fidélité