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nécessaires pour mettre un frein aux dilapidations et aux exactions. Mouzaffer Eddine sacrifia son grand vizir Ain ed Daouleh à l’indignation populaire ; mais ce n’était pas assez. Il dut se résigner à donner à la Perse un commencement de régime parlementaire, une assemblée délibérante où les intérêts étaient représentés.

Cette révolution, car c’en est une, s’est faite pacifiquement. Elle a eu ceci de particulier qu’elle a été fomentée par les mollahs, c’est-à-dire par les prêtres et par les étudians en théologie. Le phénomène s’est produit en Perse dans des conditions qui n’étaient pas moins imprévues. Les mollahs se sont mis en grève, se sont réfugiés à Kerbellat comme sur une sorte de mont Aventin, et finalement dans le parc de la légation britannique, d’où ils ont adressé leurs revendications au gouvernement. Celui-ci a cédé et la Perse a eu un embryon de constitution, ce qui justifie le proverbe qu’à quelque chose malheur est bon. Les besoins d’argent du chah ont eu encore une conséquence politique assez heureuse. Pendant longtemps, l’Angleterre et la Russie ont été en rivalité en Perse un peu sur toutes choses, et en particulier à propos des emprunts à fournir à son souverain. C’était tantôt l’une, tantôt l’autre qui l’emportait. Le dernier emprunt de 10 millions fait par Mouzaffer Eddine l’a été de compte à demi auprès de l’Angleterre et de la Russie, qui s’étaient mises d’accord sur le terrain financier en attendant qu’elles parvinssent à l’être aussi sur d’autres. On en a le désir sincère à Londres et à Saint-Pétersbourg, mais on ne sait pas toujours comment s’y prendre, et les agens des deux pays en Perse, fidèles à une tradition invétérée, continuent d’intriguer et de lutter avec acharnement les uns contre les autres, rendant par là tout rapprochement entre les deux gouvernemens plus difficile. Mouzaffer Eddine, dans tout le cours de son règne, s’est appliqué à tenir la balance égale entre l’Angleterre et la Russie. Son système, très simple, consistait à s’appuyer tantôt sur la première contre la seconde, tantôt sur la seconde contre la première : peut-être n’a-t-il pas vu sans un étonnement mêlé d’inquiétude l’entente finale qui s’est produite entre elles dans un domaine particulier. Mais, là comme ailleurs, il a subi les événemens avec docilité. Il faut souhaiter que cette politique de transaction et de conciliation se développe et se consolide entre la Russie et l’Angleterre : elles en profiteraient l’une et l’autre en Europe et en Asie, et la Perse n’aurait pas à en souffrir.

Mouzaffer Eddine a toujours montré des sympathies pour la France, où il venait assez souvent chercher un peu de santé, dans nos stations balnéaires. En dehors des gaspillages financiers dont nous