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plant le feuillage léger d’un arbre, écoutant la chanson d’un cher petit oiseau ; l’impression que j’éprouve est toute pareille lorsque, au sortir du tourbillon de ma misérable existence, j’élève ma main vers toi, en m’écriant : que Dieu te conserve, ma bonne vieille mère ; et que, le jour où il t’enlèvera à moi, il le fasse doucement et tranquillement ! Mais je compte bien que tu vivras longtemps encore, et que longtemps nous pourrons vivre pour toi, et d’une vie plus riche, moins pénible, que n’a été la tienne, ma pauvre maman ! » Quant à sa sœur Cécile, toutes les lettres qui lui sont adressées, dans le recueil, ont un accent particulier de tendresse et d’intimité ; peut-être n’y a-t-il jamais eu personne que ce cœur mobile de poète ait aimé d’une façon plus constante, ni dont la sympathie lui ait toujours été plus indispensable. Et voici, pour citer encore quelques lignes au hasard, comment Wagner accueillait, le 23 octobre 1851, la nouvelle que l’une de ses nièces, une petite fille, s’intéressait à lui et regrettait de ne pas le connaître. « Cette nouvelle, vois-tu, m’a mis tout en feu ! Je ne prétends à l’amour de personne, et laisse les gens penser de moi ce qu’ils veulent ; mais on se tromperait bien à conclure, de là, que je sois un être insensible et froid. Lorsque quelqu’un, n’importe où, m’a montré seulement un doigt d’affection véritable, tout de suite je saisis la main entière, j’attire a moi la personne entière, et, si je le puis, je lui donne un baiser aussi cordial que celui que j’aurais tant de plaisir à pouvoir te donner ! »


Il disait vrai : il était d’âme ardente, affectueuse, ouverte à toutes les belles émotions qu’il a fait chanter dans son œuvre. Mais il était esclave de son génie, qui, dès la jeunesse, l’avait soulevé et maintenu au-dessus du monde, dans une solitude effrayante et sacrée. Pour lui, comme pour tous les grands artistes créateurs dont j’ai eu l’occasion d’étudier la vie, les événemens extérieurs, et même ceux qui nous paraissent les plus décisifs, n’ont été que des épisodes sans importance réelle : ils peuvent avoir de quoi séduire notre curiosité, mais nous devons bien nous garder de croire qu’ils aient rien à nous apprendre sur l’histoire véritable de ces « illuminés. » Leur histoire véritable n’est que celle de leurs ouvrages, unique pensée de leur cerveau, unique passion de leur cœur.


T. de Wyzewa.