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faisait des savans eux-mêmes. Garat l’a très bien noté : « Ces hommes qu’il fait tant admirer, il les fait aimer encore davantage ; les singularités qui les distinguent du monde et dont le monde aime tant à rire, il les rend touchantes en les faisant sortir de l’innocence de leurs âmes et de leur vie : ce qu’ont été dans l’antiquité les hommes illustres de Plutarque, les savans de Fontenelle le sont dans les temps modernes. » Tandis que jusqu’alors le savant était réputé pour être un spécialiste dénué de compétence en dehors des questions où il se confinait, et que son genre de vie exposait à certaines bizarreries d’humeur, Fontenelle accrédite cette idée que les études scientifiques sont un gage de l’élévation de l’esprit et une garantie de vertu. C’est la religion de la science qui s’annonce.

Le temps qu’il ne passe pas à l’Académie ou dans sa chambre d’étude, Fontenelle le donne à la vie de salon. Il l’a toujours aimée, et en a toujours goûté les succès. Mais peu à peu le ton de sa causerie change, et, à mesure qu’il passe du salon de Mme de Lambert dans celui de Mme de Tencin, et de celui de Mme de Tencin dans celui de Mme Geoffrin, ce Fontenelle, autour duquel on fait toujours cercle, n’est plus tout à fait le même. Il a conservé cette humeur affable, cette répugnance au sarcasme et à la raillerie qui lui concilie tant de sympathies. Il a gagné en gravité. On s’habitue à chercher sous les anecdotes qu’il débite avec un art consommé, une intention. « Ses contes et ses plaisanteries faisaient "penser. » Sa vieillesse le rend vénérable. Il a connu tout ce que le siècle passé possédait de plus brillant. Il est celui qui peut dire en 1753 : « J’étais chez Mme de Lafayette, je vois entrer Mme de Sévigné…. » C’est un revenant d’un âge regretté, c’est le témoin d’une époque de splendeurs. Et loin d’être un contempteur de son temps, il ne cesse d’aider à l’éclosion des façons nouvelles de penser et de sentir. Les jeunes recrues demandent, à ce vétéran, des conseils et des encouragemens. Il s’installe, lui premier, dans le rôle de patriarche des lettres.

Si l’on veut maintenant, dans la diversité des vues que Fontenelle a tout au moins indiquées, faire un choix et dégager exactement celles qui lui appartiennent en propre, on trouve qu’elles ont toutes rapport à la conception qu’il s’est faite de la science. Cette conception qu’il a esquissée de bonne heure, il n’a cessé de la préciser, de l’amplifier, de la fortifier. Engagé avec Thomas Corneille et Perrault dans la querelle des anciens et des modernes, il s’est aperçu que ce qui est caractéristique des temps modernes, c’est le développement qu’y ont pris les sciences, ce sont les changemens que tant de découvertes apportent