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M. de Thézac avait été frappé de bonne heure par ce qu’il appelle l’instinct de sociabilité des pêcheurs à terre.

« C’est un besoin pour eux de se réunir, dit-il. Ces réunions se forment par groupes, en plein air, lorsqu’il ne pleut pas, et, inévitablement, dans les cabarets, lorsqu’il pleut, ce qui est presque continuel l’hiver. Quelques marins, ceux qui ont la chance d’être moins étroitement logés, accordent bien quelques momens à leur foyer, à la vie de famille ; mais le métier lui-même n’exige-t-il pas que le pêcheur reste dehors, sur le quai, à guetter l’embellie, à s’informer des prix de vente et des lieux de meilleure pêche, à discuter pour s’instruire avec les collègues ?… »

Passe encore l’été ! Mais, vienne l’automne : les pluies, le vent, la grêle rendent la faction intenable. Ah ! se dit M. de Thézac, si les pauvres gens avaient un « abri » sur la falaise ou sur le port ! S’ils pouvaient se mettre à couvert, sans bourse délier ou presque, dans un endroit sain, bien chauffé, confortablement aménagé et où ils ne fussent pas la proie des débitans ? Cet « abri » idéal, beaucoup d’entre eux le possèdent à présent, grâce à l’Œuvre de la côte bretonne. Deux petites chambres sombres et tristes, louées hâtivement sur la pointe de Men-Brial (île de Sein), furent pourtant le berceau de cette œuvre admirable et appelée à un si rapide développement : la salle de lecture, — un grenier, — n’offrait même pas hauteur d’homme ; on lisait accroupi sur le plancher. Que nous sommes loin de ces débuts misérables ! Mais aussi c’est que l’Abri, à l’origine et dans la pensée de son fondateur, n’était qu’un simple local d’attente et, par la force des choses, voici qu’il est devenu en quelques années un cercle d’études, un bureau de renseignemens, une sorte de « maison du peuple » des marins.

Tel de ces Abris, il est vrai, a coûté 15 000 francs ; les plus humbles 8 000, 6 000 francs. Mais tous sont bâtis et aménagés sur le même plan : deux grandes salles claires, bien aérées, décorées de tableaux et de cartes marines (la salle de récréation et la salle de lecture) ; un préau couvert avec des jeux de quilles, de boules, des appareils de gymnastique ; un dortoir avec des lits de camp (certains Abris en possèdent jusqu’à 40 pour les pêcheurs en relâche) ; une citerne pour faire l’aiguade ; un atelier pour réparer la vergue ou l’aviron cassés en cours de route… On sait l’adresse des gens de mer à sculpter et à façonner des réductions de navires, chefs-d’œuvre d’ingéniosité et de patience : des outils spé-