Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’entière discrétion du syndicat de Bergen. Non qu’on n’ait essayé à plusieurs reprises de les soustraire à ce servage économique, en substituant à la rogue quelque succédané moins coûteux. Tourteaux d’arachide et de colza, pâtes de sauterelles et de hannetons, bouillie de thon cuit, farines saumurées, rogue hétérogène, morphirogue, rogue mixte, etc., etc., on ne compte pas les inventions des chercheurs de similirogues[1]. Plus récemment encore, M. Fabre-Domergue, s’engageant dans une voie nouvelle, essayait d’attirer la sardine au moyen d’un projecteur à l’acétylène dissous. Il ne paraît pas que cette tentative d’éclairage à bon marché (2 francs la séance) ait beaucoup ému la gent aux fines écailles. Peut-être, si l’État ne se décide pas à donner plus d’élasticité aux lois qui réglementent la pêche sardinière, devra-t-on chercher la solution du problème, non dans un monopole d’État, comme le propose l’Humanité, mais dans la création de nouveaux centres de production de rogue française et spécialement de rogue de maquereau et de hareng[2]. Il serait bon aussi que la Fédération des syndicats locaux ou ces syndicats eux-mêmes fussent mis en mesure de servir d’intermédiaire unique entre le pêcheur et le producteur de rogue : si ce dernier biais, dont veulent bien s’accommoder les fabricans, ne peut rien sur la spéculation étrangère, il arrêterait du moins la spéculation intérieure. Et ce serait un premier résultat.

C’en serait un second et plus appréciable encore, si l’on pouvait arracher le pêcheur sardinier à l’auberge qui l’empoisonne et l’exploite. Comparée à la vie du « terreneuvas » et de l’ « islandais, » la vie de ce pêcheur est peut-être « une partie de plaisir. » Tout est relatif. En mer six jours sur sept, le pêcheur sardinier couche à bord, non dans un hamac ou sur un matelas, mais sur son banc, en plein air, roulé dans un bout de voile ou de prélart. Le temps d’apporter sa pêche à l’usine, d’avaler « une goutte » et le voilà reparti. Pour nourriture, chaque soir, une soupe au poisson nommée cotriade ; le matin, un quignon de pain bis frotté de saindoux ; pour boisson, — car le pêcheur sardinier est généralement sobre à bord, — l’eau de la baille. Il

  1. Au Congrès de 1905, l’Union des fabricans a fondé un prix de 25 000 francs destiné à récompenser l’inventeur d’une rogue artificielle pouvant remplacer la rogue naturelle.
  2. Aussi bien est-ce à cette solution que semble s’être arrêté le ministre de la Marine (Déclaration faite par M. Thomson à la séance du 16 mars 1906).