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sont point là des certitudes, M. Portier le reconnaît, et la thèse de l’émigration périodique des sardines conserve de nombreux partisans.

La thèse de la « diminution, » plus contestable, n’est guère défendue aujourd’hui que par les pêcheurs. Un document officiel, cité par le regretté Georges Pouchet, signalait déjà « onze causes, reconnues comme pouvant contribuer à la diminution de la sardine. » On s’en est pris à tout, au Gulf-Stream, aux chalutiers à vapeur, à l’éruption du Mont-Pelé, aux goémoniers, aux bélugas, aux filets de dérive, voire aux pauvres diables qui traînent sur la côte leurs dragues à chevrette pour gagner quelques sous. On a surtout fait valoir le grand argument : « Plus on pêche de sardines, moins il en reste. » Et cet argument peut sembler, à première vue, lumineusement décisif : scientifiquement, il n’en est pas de plus faux. L’Océan est une matrice inépuisable et Pouchet avait raison de dire qu’on ne le dépeuple pas, comme on dépeuple une rivière ou un lac. La jalousie et l’esprit de routine ont mal servi en cette occasion les pêcheurs sardiniers. Ils ont cru qu’en obtenant l’interdiction de la senne Belot et des autres engins perfectionnés dont l’usage commençait à se répandre sur nos côtes, ils donneraient plus de régularité au rendement de la pêche : or, ce rendement n’a jamais été plus capricieux que depuis 1878, date de l’établissement de la réglementation. On a vu le mille de sardines, en 1882, montera 50 francs : on l’a vu descendre, en 1888 et 1898, à un franc. Encore les usines n’acquéraient-elles qu’une partie de la pêche : le reste pourrissait au soleil ; les cultivateurs du voisinage venaient le charger à quai pour l’épandre sur leurs terres en guise d’amendement. À Douarnenez, en 1897, de dépit, de colère, les pêcheurs rejetèrent à l’eau toute leur cargaison, — 600 000 sardines. À Camaret, ils hissèrent une boule noire à l’entrée du port, signe qu’aucune barque ne prendrait plus la mer, qu’on préférait le chômage au salaire dérisoire des fabricans de conserves. Audierne, Loctudy, le Guilvinec décrétèrent la grève. Des troubles éclatèrent même çà et là. Les soudeurs s’en mêlèrent : un jour, à Douarnenez, l’usine de Tranche-Montagne fut prise d’assaut, saccagée, incendiée. Les émeutiers avaient arboré le drapeau rouge ; debout sur la toiture de l’usine, un clairon sonnait la charge…

Jusqu’en ces dernières années pourtant, usiniers et pêcheurs