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importunités du vieil ascétisme. Ils taxeraient sans doute M. Kurth d’audace ou de sans-gêne pour le geste superbe avec lequel il s’approprie et baptise le mot « moderne. » Ils lui objecteraient le découpage traditionnel qui sépare l’une de l’autre deux longues tranches de vie, l’une affublée du nom de moyen âge, et l’autre toute parée de la flatteuse épithète d’âge moderne. Et cette réserve faite, ils reconnaîtraient au surplus que l’ouvrage de M. Godefroid Kurth est de nature à satisfaire les juges les plus divers, et que nulle part on ne trouverait un tableau plus large et en même temps plus fouillé, plus exact, et en même temps plus coloré, de l’histoire du monde entre le IVe et le VIIIe siècle.

Mais M. Godefroid Kurth, après un bref merci pour leurs éloges, s’attachera, surtout, à défendre son titre contre leurs chicanes. Car son titre, c’est à quoi il tient le plus, afin de bien signifier qu’avec les effets sociaux de l’Incarnation du Christ la civilisation moderne commença. M. Kurth s’en va réveiller dans sa tombe, pour achever de le réduire en poussière, le malheureux savant en us qui jadis, par un artifice de manuel, propagea l’appellation de « moyen âge. » Il s’appelait Christophe Keller et, sous le nom de Cellarius, travaillait pour un éditeur d’Iéna : c’est avec son Historia medii aevi, publiée en 1688, que le terme « moyen âge » fit son entrée dans le monde[1], et le monde, d’abord, reçut assez fraîchement le nouveau venu, puisque l’Académie française, greffière de l’usage, différa jusqu’en 1835 l’admission franche et définitive d’une telle locution dans son dictionnaire[2]. M. Godefroid Kurth en est l’ennemi, et très hautement il dit pourquoi.


Loin que le moyen âge soit intermédiaire entre la civilisation antique et la civilisation moderne, le moyen âge est lui-même le commencement de la civilisation moderne. Loin qu’il faille faire descendre le point de départ de celle-ci aussi bas que l’époque de la Renaissance, il faut constater au contraire qu’elle sort du christianisme. Elle commence au moment où, la civilisation païenne de Rome se trouvant par terre, il fut possible d’édifier sur

  1. Kurth, Qu’est-ce que le moyen âge ? p. 37 (Paris, Bloud).
  2. Les cinq premières éditions du dictionnaire de l’Académie française contiennent au mot « moyen âge » l’article suivant : « On appelle autheurs du moyen âge les autheurs qui ont écrit depuis la décadence de l’empire romain jusque vers le Xe siècle ou environ. » C’est seulement dans la 6e édition (1835) qu’on lit : « Moyen âge, le temps qui s’est écoulé depuis la chute de l’empire romain, en 475, jusqu’à la prise de Constantinople par Mahomet, en 1453. »