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Sauveur des hommes a répandu sa lumière dans le monde, un abîme infini a été creusé entre les chrétiens et les peuples qui sont assis à l’ombre de la mort ; et l’historien ne serait pas digne de son nom, s’il n’accordait largement, aux hommes de par-delà, le bénéfice des circonstances atténuantes[1]. »

Avant le christianisme, après le christianisme : c’est ainsi que l’instinct populaire a scindé l’histoire universelle, et M. Kurth aime cette coupure. Ne considérant pas comme une civilisation véritable l’état social dans lequel l’esclavage servait d’assise aux jouissances intellectuelles ou matérielles d’une oligarchie, il professe que christianisme et civilisation sont synonymes. « Un peuple est d’autant plus civilisé, qu’il se laisse pénétrer, et individuellement et socialement, par la loi morale du christianisme. Dès lors, faire le tableau complet de l’histoire d’un peuple, c’est descendre dans les profondeurs de la conscience religieuse de ce peuple, pour y voir naître et se développer l’idée qu’il se fait de ses fins dernières et de sa raison d’être ici-bas, ainsi que de ses relations avec ses semblables et avec Dieu[2]. » Il en est, d’ailleurs, de l’étude des individus comme de l’étude des nations : « Les historiens, dit-il encore, qui ne consentent pas à descendre dans le tréfonds religieux des grands personnages de l’histoire, se condamnent à ne jamais les comprendre et à en tracer des portraits inexacts[3]. » Ainsi toute biographie, qu’elle ait pour objet un homme ou un peuple, exige une certaine auscultation de la conscience religieuse.

Les deux volumes que M. Kurth intitule : Les origines de la civilisation moderne[4], étudient la conscience humaine entre Constantin et Charlemagne, le fait religieux avec lequel se rencontra cette conscience, et les conséquences sociales d’une telle rencontre, ébauchée pour l’éternité. Ce sont des pages vibrantes et triomphantes.

Sous ce titre, d’autres écrivains abriteraient l’histoire de la Renaissance et retraceraient les épisodes politiques qui marquèrent la réaction de l’absolutisme contre la théocratie, ou les soubresauts de l’esprit, complice de la chair, contre les

  1. Kurth, Caton l’Ancien, étude biographique, p. 190.
  2. Kurth, Archives belges, 1899, I, p. 24.
  3. Kurth, Nolger de Liège et la civilisation au Xe siècle, I, p. 384, n. 2 (Paris, Picard, 1905).
  4. Paris, Retaux, 3e édit., 1898.