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vaste public. C’est ainsi qu’en France notre enseignement géographique fut renouvelé, ou, pour mieux dire, créé de toutes pièces, au cours des vingt dernières années, par des spécialistes qui ont eux-mêmes fort peu écrit, et dont l’œuvre immense n’est connue que d’un petit nombre. L’école historique belge a préféré d’autres allures : dès l’origine, M. Godefroid Kurth se préoccupa de publier. Son activité fut telle, qu’en 1892 déjà l’on jugeait indispensable de dresser un catalogue de tous les livres et articles signés de lui[1] ; aujourd’hui, après quatorze ans, le catalogue mériterait d’être doublé.

Les « on-dit » de l’histoire, les légendes sans fondement, dont la vie est d’autant plus dure que la polémique les exploite, ont trouvé dans M. Godefroid Kurth un ennemi tenace et victorieux. C’est assez de l’avoir feuilleté, pour évincer à jamais l’opiniâtre historiette d’après laquelle un certain concile de Mâcon aurait contesté que les femmes eussent une âme[2], et pour écarter sans recours le grief que souvent l’on fait aux croisades, d’avoir importé la lèpre en Europe[3]. Il ressort avec évidence, des recherches de M. Godefroid Kurth, que certains de nos féministes, qui d’ailleurs ne croient pas toujours à l’âme des hommes, font à l’Église un procès inique lorsqu’ils l’accusent d’avoir mis en doute l’âme des femmes ; et si quelques-uns de nos hygiénistes sont enclins à s’emporter contre les croisades pour faire oublier ou pardonner leur impuissance à l’endroit de la lèpre, M. Godefroid Kurth leur énumérera savamment, non pas seulement les textes antérieurs aux croisades dans lesquels il est question de lépreux, mais encore les multiples léproseries fondées par l’Eglise occidentale dans les siècles qui précédèrent Godefroid de Bouillon. M. Kurth est un excellent reviseur de procès historiques, non moins expert à débusquer l’erreur de ses retranchemens qu’à débusquer la vérité de ses cachettes.

Une de ses trouvailles, amusante à mentionner, lui vaut une impérissable gloire locale : voilà vingt-trois ans seulement que, grâce à lui, la ville de Liège sait enfin pourquoi elle s’appelle

  1. Université de Liège ; manifestation en l’honneur de M. Godefroid Kurth, 11 mars 1892 : Liber memorialis, publié par le comité organisateur, p. 43-52 (Liège, Vaillant-Carmanne, 1892).
  2. Revue des Questions historiques, LI, 1892, p. 554-560.
  3. Kurth, La lèpre en Occident avant les croisades (compte rendu du 2e congrès scientifique international des catholiques, 5e section, Paris, 1891).