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Voilà, foi de galant homme, comment se passa cette première relâche. Mais croyez-en mon expérience, les relâches, c’est comme les armées, elles se suivent et ne se ressemblent pas.


Les courriers suivans apportèrent d’autres lettres qui, elles non plus, ne ressemblaient pas à celle-ci. Plus de mousse de Champagne, de gazon fleuri, de fines griseries d’esprit. De nouveau le génie de la guerre se dressa devant nous. Après quelques mois de trêve, l’ancien tourment allait recommencer.


IV

Les souvenirs de la campagne de Chine, où Français et Anglais combattirent ensemble, me sont si présens que je pourrais en rappeler toutes les péripéties. Mais le cadre de ce récit ne doit enfermer qu’un fait, un nom.

Commencée en 1858, cette campagne, d’un caractère particulier et avec des difficultés exceptionnelles, ne pouvait se poursuivre et se terminer avec la rapidité de la guerre d’Italie. Les anxiétés de celle-ci, les malheurs qui en furent la conséquence, nous impressionnaient encore profondément, et nous étions aussi trop satisfaits des lenteurs de l’action pour partager l’impatience de Robert. De cette lenteur nous voulions bien augurer ; mais le calme relatif dans lequel nous vivions à cette heure n’était pas exempt de crainte : chacun de nous faisait effort pour se donner mutuellement l’espérance et la foi en l’avenir : par une convention, une entente tacite, nous réservions nos idées.

Non seulement en France, mais au point même où se continuaient les mouvemens, l’incertitude persistait et chacun s’en plaignait. « Il faut reconnaître, écrivait un officier, que cette guerre est faite pour désarçonner l’homme le plus patient. Si le Céleste-Empire garde son secret, les alliés aussi gardent le leur. »

— Oui, ajoutait mon frère, je suis en Chine, irrité d’y être sans avoir rien à y faire. Je m’ennuie à mourir.

Nous recevions les journaux français et anglais, — des cartes étaient sur nos tables, et ces cartes nous indiquaient la configuration du pays lointain, les points où se portaient l’armée alliée et les flottes. En dehors de cette question d’Extrême-Orient, tout nous devenait indifférent, nous était distant. Et il fallait vingt-six, vingt-huit jours, — un mois, — pour la traversée. Que de choses pouvaient s’être passées entre le départ et l’arrivée des courriers !