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pénible !… Ici nous sommes bien tristes. Tous ceux qui te connaissent, mon père, et qui t’aiment par conséquent, sont très émus. Ton énergie et ta valeur excitent la sympathie et l’admiration générales. A l’église du village, il y a eu un service pour notre chère malheureuse victime de Cavriana ; on le plaignait, lui si jeune, d’avenir si beau. Quelle belle fin ! — mourir sur le champ d’honneur ! — S’il devait nous être ravi aussitôt, il était juste qu’il le fût ainsi. Je l’envie d’être mort pour sa patrie.

Mme Le Brieux à Mlle Le Brieux.


Mes enfans,

Quand vous reverrai-je ? quand parlerai-je avec vous de mon cher perdu ? Ici je n’ose pas prononcer son nom ni le pleurer, cela pourrait émouvoir votre père. Sa convalescence ne fait pas de progrès. Son désir de retour est extrême ; malgré cela, il s’assombrit. Les médecins remarquent cette prostration sans eh découvrir la cause. La plaie est saine : bella carne, disent-ils.

La position horizontale lui est insupportable, et cependant il ne peut quitter son lit. Il parle de sourdes douleurs dans le dos et plusieurs chirurgiens le visitent chaque jour. L’Empereur a fait prendre de ses nouvelles. Le général de Ladmirault et le Père Souaillard (dominicain) sont venus le voir. Il est de plus en plus sombre ; cet état si contraire à sa nature m’inquiète beaucoup.

Deux jours après, je recevais la lettre suivante :


1er août 1859.

Mes enfans,

Après avoir ausculté votre père, on a reconnu la présence d’une balle, celle-là même qui a brisé l’humérus et l’omoplate. Il est question de l’extraire ; le pauvre patient, admirable de force morale, d’acceptation chrétienne, ne se plaint pas et demande que cette seconde opération se fasse sans retard aujourd’hui même.

Ce matin, les deux chirurgiens habituels ont extrait une balle énorme, déformée, à laquelle adhèrent des parcelles de drap, de toile et d’os. Votre père ne voulut ni qu’on l’endormît,