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Il paraît que l’Angleterre a envoyé son escadre dans la Méditerranée avec des plis cachetés. Pourquoi ?…

Attendons, et nous verrons peut-être des choses imprévues. Peut-être, moi aussi, j’irai me battre, on n’est jamais trop jeune pour cela. Demain j’aurai dix-huit ans. Du reste, c’est l’âme, le caractère, la résolution, et non l’âge qu’il faut considérer.

A M. Le Brieux, 1er corps, armée d’Italie.

Brest. — Borda, mai 1859.

Mon très cher père,

Bientôt je serai aspirant, libre par conséquent. Tu me donneras ces conseils que tu sais si bien donner, afin que le chemin de la vie me soit moins difficile et me mène au vrai but, au bien.

Que ton expérience me serve. Rends-moi sage par ta sagesse. Ne crois plus parler à un bambin, ce petit Jean-Bart, comme vous m’appeliez, mais à ton fils de dix-huit ans, demain officier de marine. Traite-moi comme un homme, je te comprendrai. Aime-moi comme ton enfant, je te le rendrai. Oh ! oui, père, de tout mon cœur.

Cette nature qui s’annonçait très solide, ces sentimens vrais devaient contenter mon père si ferme lui-même, si affectueux. Communiquées à ma mère, ces lettres devenaient sa seule consolation, et je ne me lassais pas de les lui relire. Nous avions un besoin réel de ces éclaircies dans notre sombre horizon, car notre vie devenait de plus en plus triste : « Aimer c’est être inquiet, » dit saint Augustin.

« Il faut tout me dire — écrivait ma mère. — Le bien, le mal, vos peines, vos souffrances, vos espoirs. Pour nous, ménagez-vous tous deux, écrivez-moi, quand vous le pourrez, deux lignes, quelques mots, ton nom. »

Les jours passaient. Je pensais moins à la victoire qu’au danger et mon anxiété croissait. Le théâtre de la guerre fixait seul notre attention. Avec les journaux, les bulletins, la correspondance avec mon père et mon frère, nous pouvions les suivre, presque jour par jour. Par quelles alternatives nous passions !

Si nous demeurions en France, nos âmes étaient au loin, de Rivolta à Castel-Nuovo, au bord de la Servia ou près du Mincio.

Notre imagination se tourmentait d’un mirage incessant et cruel ; lorsqu’il se livrait un combat, nous y assistions, tant cette idée du