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Enfin, le jour suivant, je pris encore une chaise de poste et j’allai jusqu’à Thrapston, l’endroit le plus voisin de la cure de Wadenho où je comptais trouver M. Bridges. Je pris un cheval à l’auberge et je me rendis tout de suite à Wadenho.

M. Bridges était effectivement curé de ce village, mais il venait d’en partir et ne devait être de retour que dans trois semaines. Cette nouvelle dérangeait tous mes plans. Plus de moyens d’avoir l’argent nécessaire pour aller en Écosse, aucune connaissance dans les environs, à peine de quoi retourner à Londres et y vivre quinze jours, ce qui n’était pas même assez pour y attendre la réponse de mon père. Il ne fallait pas délibérer longtemps, car chaque dînée et chaque couchée me mettaient dans une situation plus embarrassante. Je pris mon parti. Je vis, en calculant bien strictement, que je pouvais arriver jusqu’à Edimbourg en allant à cheval ou en cabriolet, seul, et une fois là, je comptais sur mes amis. Bel effet de la jeunesse, car certes s’il me fallait aujourd’hui faire cent lieues pour me mettre à la merci de gens qui ne me devaient rien, et sans une nécessité qui excusât cette démarche, s’il fallait m’exposer à m’entendre demander ce que je venais faire et refuser ce dont j’aurais besoin ou envie, rien sur la terre ne pourrait m’y résoudre. Mais, dans ma vingtième année, rien ne me paraissait plus simple que de dire à mes amis de collège : « Je fais trois cents lieues pour souper avec vous ; j’arrive sans le sou, invitez-moi, caressez-moi, buvons ensemble, remerciez-moi et prêtez-moi de l’argent pour m’en retourner. » J’étais convaincu que ce langage devait les charmer. Je fis donc venir mon hôte, et je lui dis que je voulais profiter de l’absence de mon ami Bridges pour aller à quelques milles de là passer quelques jours, et qu’il eût à me procurer un cabriolet. Il m’amena un homme qui en avait un, avec un très bon cheval. Malheureusement, le cabriolet était à Stamford, petite ville à dix milles de là. Il ne fit aucune difficulté pour me le louer. Il me donna son cheval et son fils pour me conduire, pour retirer le cabriolet des mains du sellier qui avait dû le raccommoder, et nous convînmes que je partirais de Stamford pour aller plus loin. Je me réjouis fort de ce que mon affaire s’était conclue si facilement, et le lendemain je montai sur le cheval. Le fils de l’homme à qui il appartenait monta sur une mauvaise petite rosse que l’hôte de l’auberge lui prêta, et nous arrivâmes très heureusement à Stamford. Mais là m’attendait une grande mésaventure.