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placé assez avantageusement à Londres. Il se nommait Richard Kentish et s’est fait connaître depuis par quelques ouvrages assez estimés. Nous n’avions pas eu à Edimbourg de liaison fort étroite, mais nous nous étions quelquefois amusés ensemble. Il me témoigna une extrême joie de me retrouver, et me mena tout de suite chez sa femme que je connaissais d’ancienne date, parce que, pendant que j’achevais mes études, il était arrivé avec elle pour l’épouser à Gretna Green, comme cela se pratique quand les parens ne veulent pas consentir à un mariage. L’ayant épousée, il l’avait conduite à Edimbourg pour la présenter à ses anciennes connaissances. C’était une petite femme maigre, sèche, pas jolie, et je crois assez impérieuse. Elle me reçut très bien. Ils partaient le lendemain pour Brighthelmstone et me pressèrent d’y aller avec eux, en m’y promettant toutes sortes de plaisirs. C’était précisément la route opposée à celle que je voulais entreprendre. En conséquence, je refusai. Mais je réfléchis deux jours après qu’il valait autant m’amuser là qu’ailleurs, et je me mis dans une diligence qui m’y conduisit en un jour, avec une tortue qui allait se faire manger par le prince de Galles. Arrivé, je m’établis dans une mauvaise petite chambre, et j’allai ensuite trouver Kentish, m’attendant sur sa parole à mener la vie la plus gaie du monde. Mais il ne connaissait pas un chat, n’était point reçu dans la bonne société et employait son temps à soigner quelques malades pour de l’argent, et à en observer d’autres dans un hôpital pour son instruction. Tout cela était fort utile, mais ne répondait pas à mes espérances. Je passai pourtant huit à dix jours à Brighthelmstone, parce que je n’avais aucune raison d’espérer mieux ailleurs, et que cette première expérience me décourageait, quoique à tort, comme on le verra par la suite, de mes projets sur Edimbourg. Enfin, m’ennuyant chaque jour plus, je partis subitement une après-dînée. Ce qui décida mon départ fut la rencontre d’un homme qui me proposa de faire le voyage à moitié prix jusqu’à Londres. Je laissai un billet d’adieu à Kentish et nous arrivâmes à Londres à minuit. J’avais eu bien peur que nous ne fussions volés, car j’avais tout mon argent sur moi et je n’aurais su que devenir. Aussi tenais-je toujours entre mes jambes une petite canne à épée avec la ferme résolution de me défendre et de me faire tuer plutôt que de donner mon trésor. Mon compagnon de voyage qui, vraisemblablement,