Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’appelait Edmund Lascelles ; il a été membre, mais assez obscur, du Parlement. J’allai donc le voir : il me reçut avec politesse, mais sans paraître avoir conservé le moindre souvenir de notre liaison précédente. Cependant, comme dans le cours de notre conservation il me fit quelques offres de service, et que j’avais toujours en tête mon voyage dans les provinces de l’Angleterre, je lui proposai de me prêter cinquante louis. Il me refusa en s’excusant tant bien que mal sur l’absence de son banquier, et sur je ne sais quels autres prétextes. Son valet de chambre, honnête Suisse qui connaissait ma famille, m’écrivit pour m’offrir quarante guinées. Mais sa lettre, remise chez moi pendant une course que je fis hors de Londres, ne me parvint que longtemps après et lorsqu’il avait déjà disposé de son argent d’une autre manière. Il se trouva que dans la maison à côté de celle que j’habitais, logeait un de mes anciens amis d’Edimbourg nommé John Mackay, qui avait je ne sais quel emploi assez subalterne à Londres. Nous fûmes enchantés de nous revoir. Je le fus de ne plus être dans une solitude aussi absolue : et je passai plusieurs heures de la journée avec lui, quoiqu’il ne fût rien moins que d’un esprit distingué. Mais il me retraçait d’agréables souvenirs, et je l’aimais d’ailleurs de notre amitié commune pour l’homme dont j’ai parlé en rendant compte de ma vie à Edimbourg, pour ce John Wilde, si remarquable par ses talens et son caractère, et qui a fini si malheureusement. John Mackay me procura un second plaisir du même genre en me donnant l’adresse d’un de nos camarades que j’avais connu à la même époque. Cela me procura quelques soirées agréables : mais cela n’avançait en rien mes projets. Il en résulta pourtant pour moi un nouveau motif de les exécuter, parce que ces rencontres m’ayant vivement retracé mon séjour en Écosse, j’écrivis à John Wilde et j’en reçus une réponse si pleine d’amitié que je me promis bien de ne pas quitter l’Angleterre sans l’avoir revu.

En attendant, je continuai à vivre à Londres, dînant frugalement, allant quelquefois au spectacle et même chez des filles, dépensant ainsi mon argent de voyage, ne faisant rien, m’ennuyant quelquefois, d’autres fois m’inquiétant sur mon père et m’adressant de graves reproches, mais ayant malgré cela un indicible sentiment de bien-être de mon entière liberté. Un jour, au détour d’une rue, je me trouvai nez à nez avec un autre étudiant d’Edimbourg devenu docteur en médecine et