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vu dans la déclaration exigée de moi qu’un moyen de mettre fin aux ombrages de M. de Sainte-Croix. J’envisageai la chose sous un autre point de vue, je me vis traîné devant un étranger pour lui avouer que j’étais un amant malheureux, un homme repoussé par la mère et par la fille. Mon amour-propre blessé me jeta dans un vrai délire. Par hasard, j’avais emporté dans ma poche une petite bouteille d’opium que je trimballais avec moi depuis quelque temps. C’était ensuite de ma liaison avec Mme de Charrière, qui prenant beaucoup d’opium dans sa maladie, m’avait donné l’idée d’en avoir, et dont la conversation, toujours abondante, vigoureuse, mais très bizarre, me tenait dans une espèce d’ivresse spirituelle, qui n’a pas peu contribué à toutes les sottises que j’ai faites à cette époque.

Je répétais sans cesse que je voulais me tuer, et à force de le dire je parvenais presque à le croire, quoique dans le fond je n’en eusse pas la moindre envie. Ayant donc mon opium en poche au moment où je me vis traduit en spectacle devant M. de Sainte-Croix, j’éprouvai une espèce d’embarras dont il me parut plus facile de me tirer par une scène que par une conversation tranquille. Je prévoyais que M. de Sainte-Croix me ferait des questions, me témoignerait de l’intérêt, et comme je me trouvais humilié, ces questions, cet intérêt, tout ce qui pouvait prolonger la situation m’était insupportable. J’étais sûr qu’en avalant mon opium je ferais diversion à tout cela ; ensuite, j’avais depuis longtemps dans la tête, que de vouloir se tuer pour une femme, c’était un moyen de lui plaire. Cette idée n’est pas exactement vraie. Quand on plaît déjà à une femme et qu’elle ne demande qu’à se rendre, il est bon de la menacer de se tuer parce qu’on lui fournit un prétexte décisif, rapide et honorable. Mais quand on n’est point aimé, ni la menace ni la chose ne produisent aucun effet. Dans toute mon aventure avec Mlle Pourras, il y avait une erreur fondamentale, c’est que je jouais le roman à moi tout seul. Lors donc que Mme Pourras eut fini son interrogatoire, je lui dis que je la remerciais de m’avoir mis dans une situation qui ne me laissait plus qu’un parti à prendre, et je tirai ma petite fiole que je portai à mes lèvres. Je me souviens que, dans le très court instant qui s’écoula pendant que je fis cette opération, je me faisais un dilemme qui acheva de me décider.

« Si j’en meurs, me dis-je, tout sera fini ; et si l’on me sauve,