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foules, peut-être sont-ce les animaux dont elles ont à se défendre qui déterminent la moralité des races : hideusement traître, le crocodile a appris aux Malgaches la méfiance et l’hypocrisie, le goût de la paresse dans la vase et de la nourriture faisandée. En lui, les indigènes subissent la force et comme la tyrannie de la laideur. Ils ont été frappés par sa laideur qu’ils copient dans leurs grimaces de terreur, qu’ils chantent dans des refrains à demi comiques composés pour être clamés quand on traverse les rivières infestées. Ils admirent cette laideur comme les Annamites adorent le tigre ; certaines familles tiennent à honneur de descendre du crocodile. Des sorciers et des sorcières se font la réputation d’avoir commerce avec lui dans les roseaux, ayant su patiemment l’apprivoiser, peut-être même lui faisant manger une racine qui resserre les mâchoires. Ace sujet, sur les bords du Sakaleony ou dans les habitations de l’Ivoulina, se débite tout un folklore curieux de légendes salaces et faisandées.


III. — LES COLLINES DE RAVENALAS

A quelques kilomètres de la mer, à l’extrémité de la plaine laguneuse et couverte d’une maigre couche d’humus sous lequel transparaît le sable, se soulève soudain la colline de terre dure ; et, dès les premières ondulations, c’est un chaos de mamelonnemens aux lignes inlassablement entremêlées, d’un aspect très particulier et unique au monde.

Un grand versant uniforme est incliné vers l’océan Indien ; et, sur cette pente générale, mille crêtes, variant de cinquante à cent mètres d’altitude au-dessus des fonds, se croisent et se heurtent en lignes inextricables sans aucune symétrie de direction, bosselant des ballons creusés sur une face de vallées en entonnoirs à ligne d’hélice. Elles suggèrent aussitôt l’idée que ce n’est pas seulement la terre qui est ronde, mais toute œuvre des grandes actions, terrestres. Par l’absence de la végétation, on en perçoit en ce lieu les formes géométriques normales. Comme dans les pays de forêt la pluie ravine le sol, ici, sur ce sol chauve, c’est le vent, tournoyant et échevelé, qui a modelé ce tourbillonnement de rondeurs rompues où cycles et hémicycles s’intersectent.

Les croupes et la plupart des pentes sont nues, les fonds capitonnés d’un fouillis de végétation qui y sinue comme des