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courans de rivières a le charme de l’eau vive et la beauté de l’eau morte, des teintes tour à tour foncées et électriques. Que les berges se resserrent sous les arches d’ombre de hauts manguiers, l’eau s’endort, à l’heure chaude, dans un vert émeraudé de lézard, ou luit des bleus chatoyans du martin-pêcheur ; des badamiers, qui, par la largeur de leurs feuilles fraîches et par l’évasement gracieux de leurs branches étagées, sont à la fois les paulownias et les cèdres de la terre malgache, superposent des plates-formes de feuillage d’où transparaît, même sous un firmament assombri, une clarté et comme une humidité verte. Bientôt les arbres manquent complètement, et il accourt de très loin vers les rives marécageuses des bandes innombrables de vacoas aquatiques montés sur plusieurs racines, toute une descente de végétaux échassiers piétinant le paysage, jusqu’à l’horizon, sur des pattes grises, en hérissant leurs huppes de feuilles pointues. De longs barrages en roseaux entrelacés de branchages pour arrêter les poissons, dessinent de grands parcs d’eau sur lesquels veille, au haut de frêles pilotis, une paillotte faite comme un nid d’oiseau-pêcheur en feuilles de vacoas que le soleil a blanchies.

Et ce sont désormais les visions lacustres : surtout vers le Sud où les bassins se creusent profondément entre des berges torses, l’eau, noirâtre, s’épaissit comme un jus de feuilles acres et de racines pourries, des nuages se reflètent en colonnes basaltiques dans cette sorte de purin végétal. Sous un ciel bleu, dans l’enveloppement de la lumière, on respire une atmosphère insipide et nauséeuse. De cette onde que les indigènes ont nommé l’Eau Noire et qui, par endroits, sous des moires de lumière, a l’onctuosité molle du miel malgache, les ravenales avec des lueurs sur leurs troncs et leurs palmes bleuâtres aux revers mordorés, les vacoas aux fûts spongieux, les rafias aux fibres cendrées, émergent sur l’air aussi lourd que l’eau. Autant les troncs se confondent dans un fouillis de lianes et d’herbes tapissant comme une mousse la surface liquide au point qu’on croit à des plates-bandes flottantes, autant les tiges et la feuillée s’ajourent sur l’azur, y dessinant avec une bizarrerie animée les plus curieux hérissemens de lignes africaines. Les vacoas laissent pendre au bout d’une queue torse un fruit rond a facettes jaunes ; les rafias élèvent de grands balais d’épines que la lumière dore comme des dattes ; le ciel se pique à des branchages aigus et se caresse aux courbes soyeuses des palmes ; du cœur des ravenales, débordant