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indigènes à des rites de leur race tels que la circoncision, la distribution d’amulettes coraniques, des immolations de bêtes.

Seuls, après quarante ans d’existence malgache, quelques Arabes éprouvaient encore le besoin de revoir la Mecque et y retournaient. La plupart demeuraient aux diverses échelles de la Grande Ile et fondaient des races, soucieux de leur faire conserver leurs noms à travers les âges. Elles n’ont point disparu, et beaucoup de peuplades, dans les bananeraies que baigne la Mananzary, dans les archipels de sonjes que circonscrit le Mangoro, gardent encore aujourd’hui, avec des mœurs et l’écriture (sora-bé), le souvenir légendaire de leurs ancêtres qui étaient « des Blancs. »

Entre tous, les Antaimoros, au Sud-Est de la Grande Ile, se montrent étroitement fidèles aux traditions arabes. Au reste, ce sont aujourd’hui les plus nomades des Malgaches : aventuriers, laborieux, âpres au gain et finauds sous des traits convulsés et une apparence de stupidité qui les a fait appeler les Auvergnats de Madagascar, ils quittent leurs villages, s’orientant vers le Nord où ils vont chercher du travail jusqu’à Diego en passant par Fianarantsoa et Tananarive. Traînant des savates grossièrement taillées dans du cuir de bœuf, portant au dos une grande cuiller de bois, une marmite et un violon à forme de calebasse attachés à un bambou strié de dessins géométriques, car ils ont toujours eu soin d’acheter chez eux les objets usuels, ces descendans d’Arabes se dirigent en bande vers les villes où les blancs développent l’animation du commerce. Sur leur route, les Betsimisarakas indolens et sceptiques qui les regardent passer à la file comme des esclaves, les raillent de n’être bons que pour le travail et leur jettent des injures qui font sourire niaisement leur visage camard. Puis, quand ils ont, pièce à pièce, et en faisant des nœuds à leur ceinture pour compter les jours de travail, amassé de quoi acquérir d’abord une vache, une femme ensuite, on les voit redescendre par escouades vers le Sud, rapportant une marmite en fer, un accordéon, un parapluie rouge et parfois dans une caisse ou dans une étoffe les os desséchés de quelque compagnon de route mort loin du cimetière patriarcal. Ils rentrent au village, parmi les gens-du-sable qui aiment l’argent et, dit-on, le mettent en commun sous la surveillance des vieillards ; mais point communistes en amour, car ils ont conservé des Arabes la jalousie qui fait que la femme reste fidèle à un mari capable, à l’occasion, de sagayer l’adultère et son complice.