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boutre qu’ils avaient traîné à l’estuaire du Mangoro, et sous le murmure magique des filaos dormaient leur rêve antarctique.

Puis, à la fin du XIVe siècle[1], ce fut l’arrivée des « grands canots, » d’une croisade de Musulmans qui, envoyés, disaient-ils, par le khalife de la Mecque, vinrent instruire les Madécasses. Le chef de la caravane ayant épousé la fille d’un prince nègre, Musulmans et Madécasses vécurent en bon accord dans la ville de Matitana. S’adaptant à une vie plus agreste dans un pays de végétaux, le musulman renonça à la maison de pierre et de chaux pour habiter la paillotte dorée de soleil ; les nattes en paille du pays, coloriées de dessins géométriques et mosaïques, suppléèrent aux tapis, et l’ingéniosité arabe, pour économiser les riches étoffes de la métropole, déroula à la lumière les burnous de toile, premiers modèles des lambas. Ce devint bientôt une manière de capitale lettrée : avec de l’encre extraite du cœur du rotra (faux acajou), avec une plume taillée dans le bambou, sur un papier végétal d’harandrato, mat et rayé comme une feuille de bananier, les Malgaches, sous la dictée des professeurs de l’Oman et de l’Yémen, apprirent à tracer les dessins contournés de l’écriture orientale : à croppetons sur des nattes propres, dans les cases en ravenala tressé, les enfans accourus d’alentour psalmodièrent, en les déchiffrant, les manuscrits sacrés. L’éclat des calottes brochées dont les Arabes restaient coiffés, la variété polychrome de leurs costumes, les bracelets d’argent ciselé, leurs colliers de métal massif et leurs anneaux de corail, leurs poteries auxquelles se mêlaient parfois de fines cristalleries persanes, le nombre de leurs femmes qui était la consécration de la richesse individuelle, avaient inspiré vite aux Madécasses le goût des lettres qui initient au négoce. Et il y avait grand trafic de manuscrits : livres de commerce, de géographie, d’élémentaire astronomie, répertoires de drogues et grimoires de sorcellerie reliés dans du cuir de bœuf qui conservait son poil, les indigènes les feuilletaient, assis dans la cendre des foyers, tandis que les femmes, devant de grands métiers, copiaient sur des rabanes les polygonies brillantes des soies indiennes importées. Par de grandes fêtes auxquelles ils avaient soin de laisser la couleur des coutumes locales, les Arabes séduisaient les

  1. Outre les ouvrages précédemment cités, les importans travaux de M. Ferrand sur les Musulmans à Madagascar, 3 vol. ; Jully, les Immigrations arabes (dans Bulletin de l’Académie malgache) ; Marchand, R. de Madagascar, 1901.