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austral, où se disséminent sur un gazon ras des arbustes gracieux et bizarres entre lesquels paissent les troupeaux.

Le caractère du paysage est marqué par les espèces d’arbres qui y sont les plus fréquentes : vers le Sud, le pandanus ou vacoa, le copalier et le filao ; vers le Nord, le filao et le badamier. Mais c’est principalement le filao qui en donne l’âme. Cet arbre, unique conifère du monde austral, synthétise les originalités des conifères divers du monde boréal. Avec le port mélancolique des thuyas, il inscrit le feuillage du pin maritime dans le dessin du cyprès. Il est le conifère-type qu’eût pu rêver un Vinci pour allonger sous son ombre transparente, dans une atmosphère monotone et languissante, des archétypes d’humanité australe. Berçant à la brise dans son feuillage d’aiguilles la mélodie rythmique et fatiguée de la mer dont il répète l’infini bâillement harmonieux, il répand dans le paysage une mélancolie musicale qui grise. Il est d’une tristesse subjugante quand il se dresse au milieu des ravenalas et des pandanus, arbres textiles du Sud qui forment, sur les replis des dunes, des paysages de haillons végétaux : portant sur eux toutes leurs saisons en même temps au contraire des arbres d’Europe, les pandanus, dont les troncs couleur de lèpre se divisent en fourches, conservent au-dessous de leurs touffes vertes leurs lanières pourries ; les ravenalas ne se dépouillent non plus de leurs palmes rougeâtres qui pendent avec des cassures, et, par leur feuillage tressé en voiles de jonques, donnent une impression de naufrages et d’épaves de verdure ; la brise de la mer agite sur le ciel qu’on voit entre les branches ces lambeaux de feuillages qui sont la pourriture du temps.

Derrière l’abri que dressent contre le vent vacoas, ravenalas et badamiers, il pousse à même la vaste pelouse de sable calcaire des végétaux espacés comme des animaux sur un pré en une vie domestique : des sagoutiers trapus rayonnent avec des feuilles très longues ; les tacamacas arrondissent leurs masses d’un vert funèbre au ras du sol ; des lianes crochues courent sur des espaces nus avec des mouvemens brisés de crabes ; les vavontakas dans un feuillage recroquevillé suspendent leurs calebasses orangées. De multiples allées naturelles de sable très blanc se perdent entre d’innombrables bouquets sombres à feuilles de magnolia, de jackier ou de laurier-cerise que le printemps va éclairer des grappes d’un blanc mat pareilles aux fleurs de la