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premier Scipion, pendant qu’il préparait son expédition d’Afrique, mener la vie grecque (græcari) en Sicile, fréquenter les gymnases, les palestres, paraître en public le menton rasé, vêtu d’un pallium, avec des sandales aux pieds. Les vieux Romains en étaient indignés, et Caton ne le lui a pas pardonné, même après sa victoire.

On n’avait rien à craindre de semblable chez Scipion Émilien. Outre qu’il était modéré de nature, ennemi des exagérations, comme il connaissait mieux les Grecs, il se laissait moins séduire au dehors de la civilisation hellénique ; il n’en voulait prendre que ce qu’elle avait de meilleur. Ces susceptibilités, que beaucoup de Romains témoignaient contre elle, tenaient après tout à des motifs honorables : il trouvait juste qu’on les respectât. Lui-même, par beaucoup de côtés, était un homme des anciens temps et il s’en faisait gloire. Sa censure fut presque aussi sévère que celle de Caton, et il y prononça un discours dont on se souvenait pour exhorter les citoyens au respect des mœurs antiques. Il avait peu de goût pour les jeunes gens qui affectaient de s’en écarter et d’introduire des modes nouvelles. Il reprochait à Sulpicius Gallus de se parfumer, de s’épiler soigneusement la barbe et les sourcils, de faire sa toilette en face d’un miroir, de porter des tuniques qui, au lieu de laisser les bras nus, retombaient sur les mains et les recouvraient entièrement. Nous avons conservé le fragment d’un de ses discours où il s’indigne qu’on ait ouvert à Rome une école de danse. Il raconte qu’on le lui avait dit, mais qu’il ne voulait pas le croire. Il s’y est laissé conduire, et il y a vu plus de cinquante garçons ou filles de bonne naissance, entre autres le fils d’un candidat aux honneurs publics, un jeune homme de plus de douze ans, qui avait au cou la boule d’or que portaient les jeunes patriciens, « et dansait avec des castagnettes une danse tellement obscène qu’un esclave impudique n’oserait pas se la permettre. »

Ces sentimens de vieux Romain que Scipion exprime ici avec tant de force, il les avait inspirés sans doute à ceux qui l’entouraient, et je remarque qu’on en retrouve quelque trace chez les deux grands poètes qui furent ses amis. Même Térence, que nous avons l’habitude de ranger parmi les partisans les plus déclarés de l’hellénisme, et qui, comme nous venons de le voir, a beaucoup travaillé à répandre la vie grecque à Rome, n’entendait pas qu’on y mît trop d’excès. Ce qui le prouve, c’est