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nombreuses, ni surtout bien visibles ; et précisément, c’est ce que M. Bédier s’est efforcé de montrer.

On aurait d’ailleurs mieux aimé qu’à la discussion des « élémens celtiques » de Tristan, M. Bédier ne mêlât point celle des « sources antiques » dont la légende a pu également s’inspirer. Tristan, vainqueur du Morhoult d’Irlande, est-il une « réplique » de Thésée, vainqueur du Minotaure ? Et, tandis que nous en sommes à Thésée, « l’histoire de la voile noire et de la voile blanche » est-elle un emprunt à la fable grecque ? La réponse « ne saurait faire de doute, » nous dit ici M. Bédier ; et, sur ce point, nous nous permettrons de ne pas être de son opinion. Il n’est pas nécessaire, mais surtout il n’est pas historiquement prouvé qu’une légende, grecque ou celtique, aztèque ou cinghalaise, n’ait jamais été inventée qu’en un seul lieu du monde ; et les mêmes expériences ont pu conduire des hommes différens, en des temps différens, à s’exprimer par les mêmes symboles, les mêmes fables, les mêmes contes. M. Bédier lui-même, jadis, n’a-t-il pas montré ce qu’il y avait d’arbitraire, et d’ « anti-scientifique, » dans la théorie qui voulait que la plupart de nos Fabliaux nous fussent venus de l’Inde, et plus particulièrement de la prédication populaire du bouddhisme ?

Mais je pense qu’ici, tout en admettant que Tristan ne soit qu’une « réplique » de Thésée, M. Bédier aura voulu saisir l’occasion de protester contre l’habitude qu’on avait eue longtemps, et qui n’est pas entièrement perdue, de faire de Tristan, comme de Thésée, des « mythes solaires ; » et c’était précisément ce que Gaston Paris voulait encore dire en 1804, quand il écrivait : « Il y a dans nos poèmes un élément mythique que ne comprennent plus du tout ceux à qui nous les devons. » Grâces donc en soient rendues aux Béroul et aux Thomas ; et quel bonheur qu’ils n’aient pas compris ! Car de quel personnage de la légende ou de l’histoire même, n’a-t-on pas fait un « mythe solaire, » depuis les sympathiques géans de Babelais, Pantagruel et Gargantua, jusqu’au Bouddha Çakya Mouni. Il semble que l’on ne conçût la poésie, en ce temps-là, vers 1850, qu’en fonction du jour ou de la nuit, de la pluie ou du beau temps, du printemps fécond ou de l’automne mélancolique, et je ne sais si, de nos jours, toutes ces choses, quelques wagnériens, très savans, ne les retrouvent pas dans le drame de Wagner. « Après la pluie fécondante du printemps, correspondant un breuvage d’amour, nous