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celui de Bordeaux et celui de Toulouse, ont pris les devans : ils ont donné des instructions à leurs curés, pour qu’ils fissent la déclaration unique demandée par le gouvernement. Mgr Lecot déclarait n’y trouver aucun empêchement. Tout à coup des ordres sont venus de Rome, apportant une interdiction. On n’en disait pas le motif ; nous le saurons peut-être plus tard. Mais parmi les observations nombreuses que cet incident imprévu fait naître dans notre esprit, il en est deux qui nous frappent particulièrement et que nous nous contenterons d’ailleurs d’énoncer. Pourquoi les instructions de Rome sont-elles toujours tardives et arrivent-elles au moment où une portion du clergé a cru pouvoir déjà s’engager dans un autre sens ? Et pourquoi sont-elles toujours négatives ? pourquoi le Pape, après avoir dit ce qu’il ne faut pas faire, ne dit-il pas ce qu’il faut faire ? pourquoi n’éclaire-t-il la route que lorsqu’elle est en partie parcourue, et l’éclaire-t-il toujours en arrière, jamais en avant ?

La nouvelle défense lancée par le Saint-Siège risque d’avoir les conséquences les plus graves : on se demande s’il valait la peine de s’y exposer pour une question d’un intérêt apparent aussi léger que celui de savoir si on fera, ou si on ne fera pas une déclaration annuelle en vue de l’exercice du culte. Que le Pape, après avoir formellement condamné la loi de 1905, en repousse successivement toutes les parties, soit ; la logique le veut ; de grandes épreuves en résulteront pour l’Église, mais il n’est pas interdit à une foi ardente d’en attendre un grand bien final. Cette loi, qui aurait dû être faite après entente avec le Saint-Siège, a été faite sans lui : le Pape peut dire qu’il n’a pas à la connaître et qu’il ne la connaît pas. Mais en est-il de même de toutes les lois de la République, de celles dont le faisceau constitue précisément ce droit commun où le Saint-Père avait d’abord ordonné aux catholiques de chercher un refuge et de trouver des ressources ? Tout le monde est d’accord, après les discours de M. Briand, que l’Église peut vivre en dehors de la loi de 1905 : mais peut-elle vivre, en dehors et au-dessus de toutes les lois, en vertu de son principe propre et d’une autorité qu’elle ne tient pas des hommes ? Il n’en est ainsi nulle part, pas même dans les pays les plus libéraux du monde, et pas plus, par exemple, en Amérique qu’ailleurs. S’il s’agissait de l’autorité spirituelle de l’Église, nous serions les premiers à soutenir qu’elle doit rester pleine, entière, absolue ; mais l’Église, en ce monde, a un corps aussi bien qu’une âme, et c’est pourquoi elle ne saurait se soustraire à certaines conditions d’existence, matérielles et temporelles, qui dépendent de la législation de chaque pays. Aussi ce