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Non nobis, Domine, non nobis… C’est, chez César, à cette heure, une affectation de désintéressement curieuse, et qui se relie tout droit au souci dont il est rongé, sur la caducité de son pouvoir qui n’a de « fondement » que dans le pontificat de son père, lui-même éphémère et qui passera, — on en a solennellement et symboliquement prévenu le Pape au jour de son exaltation, — comme passe toute gloire de ce monde. Ce fondamento qui lui manque, le duc est obligé de le chercher dans la gratitude des successeurs d’Alexandre VI, et dans les titres qu’il se crée à la reconnaissance de l’Eglise, en attendant qu’il puisse s’en dispenser, ayant trouvé dans sa propre force, dans ses armes, comme aime à le dire Machiavel, le vrai fondamento de son État. Et déjà il médite une entreprise sur Sienne, où domine celui qui fut l’âme des conjurés de la Magione, l’astucieux Pandolfo Petrucci. C’est sur lui désormais qu’il va dériver toutes les rancunes, contre lui qu’il va concentrer toute son action. Il lâche pour l’instant le duc d’Urbin, qu’il ne craint plus ; mais de quels ongles, de quelle griffe il s’attache à Pandolfo ! Bon gré, mal gré, il faut qu’il ait avec lui dans cette chasse tous ses voisins, que tous lui servent de rabatteurs. Ainsi Florence. Il lui a rendu un fameux service ! L’avoir débarrassée des Orsini et des Vitelli, c’est un service appréciable, qui se peut évaluer et rétribuer en espèces, qui, en tout cas, appelle une contre-partie matérielle ; cela vaut bien quelque chose, et une assez belle chose : voyons, cela vaut bien 200 000 ducats ! Cela les eût bien coûtés à la Seigneurie, si elle avait voulu faire cette besogne, et, pour 200 000 ducats, elle ne l’eût pas faite « aussi proprement (si netto) ! »

Présentement, il s’agit de Sienne et de Pandolfo Petrucci ; César s’en va poursuivre par là sa campagne libératrice, pour l’Eglise, contre les factions qui déchirent les villes et les tyrans qui les oppriment ; se refusant à remplacer imparti par l’autre et à rappeler les bannis d’exil, de peur « de n’ôter un tyran que pour en remettre dix. » Derrière le libérateur, le gonfalonier de la sainte Eglise romaine, serviteur des Souverains Pontifes, on dirait, — quelques grandes âmes dès lors en tressaillent, — que se lève enfin l’homme qui doit venir pour l’unité de l’Italie ; le libérateur semble devoir s’achever dans l’unificateur. Il marche ; il est aujourd’hui à Ascesi, demain il sera à Torsiano, après-demain à Chiusi, en territoire siennois, et il y entrera, fût-ce de force. Une députation de la Commune accourt le saluer, solliciter une