Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien. Mon père peut recevoir de Marseille un paquet qui ne m’intéresse pas. Ce paquet peut renfermer aussi des calomnies d’un certain M. C***, coryphée du comte de Besons. Mon oncle doit à présent savoir à quoi s’en tenir à cet égard. Si par hasard ce n’était que le plat libelle d’un certain M. Mouret, cela ne vaut pas la peine de s’en occuper. J’ai beau réfléchir. Je ne vois que ces deux côtés dont je puisse craindre un mauvais tour ; mais dans l’une et l’autre supposition, dans tous les événemens possibles même, le mot craindre est déplacé ; car je n’ai qu’un juge aujourd’hui ; c’est mon chef [M. d’Allègre] : qu’on s’informe à lui, il a confondu les délateurs auprès du ministre, et ne se démentira auprès de personne.

Si par hasard ce paquet était un prétexte pour entrer en matière avec moi, vous avez tort d’employer ce subterfuge ; car vous avez le droit d’être écoutée sans user de détour.

Je n’entends pas davantage le reste de votre lettre, à propos de quoi vous vous plaignez que je vous traite durement. Vous croyez sans doute me traiter doucement, vous, en ne m’écrivant pas depuis deux mois ; car n’imaginez pas que je sois votre dupe. M. d’Allègre me sera caution que je n’ai pas reçu une lettre de vous depuis le 4 de janvier[1]. De bonne foi, qui a intérêt à intercepter vos lettres ? D’après cette courte explication, vous devez croire, madame, que je n’ai pas fort approuvé l’effronterie avec laquelle vous assurez à tous mes amis que vous n’avez pas cessé de m’écrire. Encore une fois, personne ne peut intercepter vos lettres, et si on les interceptait celle d’aujourd’hui ne me serait pas parvenue. La bonne foi efface bien des fautes et la duplicité m’irrite.

Si vous trouvez que votre procédé ne soit ni décent, ni honnête, vous ferez bien d’en changer ; je suis prêt alors à recevoir vos lettres et à y répondre. Mais vous ne m’avez pas soupçonné sans doute d’être capable de ménager ma femme quand elle manque à ses devoirs.

Vous me devez cependant, j’ose le croire, vous me devez beaucoup de reconnaissance pour ce silence dont vous vous plaignez.

Ma santé est fort bonne depuis quelque temps. Mon fils se porte à merveille. J’ai répondu à toutes vos questions. Je vous épargnerai l’embarras de répondre aux miennes.

MIRABEAU fils.


Un mois plus tard, sur un ton aussi véhément, mais relevé par un motif délicat et grave, il adressait un suprême commandement à Emilie d’avoir à se retirer sans délai dans un couvent, puisqu’elle croyait ne pouvoir pas rentrer en Provence. Le mousquetaire Gassaud était près d’arriver à Paris avec sa compagnie, pour servir au sacre du Roi. Mirabeau et ses amis avaient inutilement demandé qu’il fût dispensé de ce service et mis en congé durant cette période assez longue. La lettre qui avisait

  1. Cependant, elle lui en avait écrit une, le 27 janvier 1775, que nous avons sous les yeux.