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de si gaillards qu’on n’eût pu ni les répéter ni les transcrire.

Ainsi dénoncé par son frère à sa femme, Mirabeau ne s’embarrassa point à ergoter. Il prit l’offensive avec fureur : « Vous êtes un monstre, écrivit-il tout à coup à Emilie. Je ne veux pas vous perdre et je le devrais… Traînez votre opprobre où vous voudrez… Adieu pour jamais. » Il l’accusait d’avoir montré ses lettres confidentielles à son père et à Mme de Pailly. On peut croire qu’Emilie était innocente de cette maladresse : elle n’avait qu’éventé le contenu de cette correspondance écrite pour elle seule. Elle priait Mirabeau de ne pas la condamner sur des apparences, de lui rendre sa confiance et sa tendresse ; elle n’obtenait pas de réponse. Il ne lui écrivait plus ; mais voici que du château d’If, un autre écrivait à Emilie. Dans une longue épître en forme de supplique, le mari de la cantinière, le sieur Mouret, lui exposait son infortune conjugale, qui avait eu une fin déplorable, sa femme s’étant enfuie de son domicile avec 4 000 livres, toutes ses économies : il rendait Mirabeau responsable de ce double méfait. Sur le vol, il y avait doute ; sur l’abandon de domicile, la complicité de Mirabeau n’était que trop certaine, la fugitive ayant reçu asile chez Mme de Cabris ! Un dossier concernant cette affaire parvenait en même temps à l’Ami des Hommes. Secrètement triomphante, Emilie joua l’ignorance et les alarmes, et se hâta d’en entretenir son mari, dans la confiance que ce scandale l’effraierait et le disposerait à plus d’indulgence envers elle-même :


Paris, le 22 février 1775.

Je suis au désespoir, mon ami. Votre père a reçu dimanche une lettre de Marseille très volumineuse ; comme il n’y était pas quand on l’apporta et que je vis le timbre, j’espérai que c’était de M. d’Allègre, et que je salirais par là de vos nouvelles. Mais personne ne m’a rien dit ; au contraire, on se cache de moi, on chuchote ; mon oncle et mon beau-père se parlent à l’oreille et se montrent respectivement des lettres. Je tremble que vous ne soyez malade, mon cher ami. Au nom de Dieu, donnez-moi de vos nouvelles. Vous ne savez pas les peines que vous me causez. Je me suis informée de Mme du Saillant ce que c’était que cette lettre, mais elle m’a répondu qu’elle n’en savait rien, non plus que Mme de Pailly, M. du Saillant, etc. Écrivez-moi au plus tôt, je vous en conjure les larmes aux yeux, s’il est vrai que vous avez jamais eu la moindre amitié pour moi…


Mirabeau, sans se déconcerter, lui répliqua :


Je reçois, madame, votre lettre du 22 février, à laquelle je ne comprends