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A Paris, ce 11 novembre 1774.

Tu te plains certainement dans ce moment-ci, mon cher ami ; mais il faut absolument que tu m’excuses pour ces commencemens, je n’ai pas le temps de me tourner ; toute ma matinée se trouve prise par le déjeuner qui se fait dans la chambre de mon beau-père. Au sortir de là, je suis toujours happée par quelques ouvrières qui ne finissent plus ; une autre fois, c’est la messe, car ici on fête tous les saints du calendrier : ensuite des emplettes, il faut se coiffer, et voilà le temps passé. L’après-dîner il faut être tout le jour au salon parce que personne ne sortait ; enfin, mon ami, il est dix heures du soir, et j’ai demandé la permission de me retirer parce que je voulais absolument t’écrire, et que c’est demain jour de courrier, et que nous allons à 7 heures du matin voir arriver le Roi pour le lit de justice. Nous entrerons dans le Grand Conseil, et par conséquent nous verrons fort bien. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que l’on n’a que des conjectures (très fortes à la vérité) sur ce qui se passera demain. Mais le secret est si bien gardé que personne ne sait rien de certain… M. de Nicolaï n’a point été arrêté ; il n’y a que M. de Fleury…

… Mon bon ami, je t’avoue que si je croyais l’être plus utile au château d’If qu’ici, certainement ce serait avec grand plaisir que je t’y joindrais ; mais pour à Aix (sic), je te dirai, mon bon ami, que je ne me sens pas du tout la force d’y paraître quelque temps de suite, tant que nos affaires seront dans le même état. Imagine-toi que pendant le peu de jours que j’y ai resté, il est venu plus de dix créanciers à la maison faire un train effroyable à mes gens, disant qu’ils voulaient absolument me parler, que nous les avions ruinés, etc. Un autre vint à la portière de ma chaise comme je passais au Cours… On m’a menée avant-hier à la Comédie italienne ; ils jouaient les Deux Avares et Mazet ; j’ai été très contente de l’orchestre et de Rainville et La Ruette ; tous les autres étaient des doublures fort mauvaises. Je ne me suis pas amusée à beaucoup près autant que je m’y serais attendue ; au reste, mon bon ami, toutes les fois qu’il se présente quelque amusement, l’idée de ta situation m’empêche bien d’en jouir ; je ne puis jamais m’occuper d’autres choses tout le temps de la comédie. Et j’éprouve bien que je ne goûterai de plaisirs que lorsque tu les partageras avec moi…


A Paris, le 13 novembre 1774.

… Quant aux raisons particulières que tu as de m’avoir en Provence au mois de décembre, mon bon ami, j’espère de ton amitié que tu voudras bien me les dire… Pour en revenir à notre cher petit, G… me mande qu’il lui donne tous les jours des coups de sa canne, et que cela le divertit beaucoup. Le petit coquin donne déjà êtes coups de bâton, comment trouves-tu cela ? Je n’ai voulu te dire autre chose sinon que je n’avais pas envie d’écrire, mais pourtant que je tâcherais de prendre sur moi d’écrire encore un mot à Tourettes…


A Paris, 17 novembre 1774.

Mon beau-père a reçu mardi une lettre de M. d’Allègre, mon bon ami, qui lui disait beaucoup de bien de toi. il y avait ce jour-là assemblée comme