Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi bien que Machiavel même, que son État « n’est bâti que sur la fortune, » et que les deux colonnes sur lesquelles il repose, le Pape et le roi de France, peuvent lui manquer subitement, le Roi pouvant changer, et le Pape pouvant mourir. S’il n’y mettait pas de faux-semblans et n’avait au bord des lèvres le respect des choses sacrées, il dirait crûment que son père est bien le Saint-Père, mais n’est pas le Père éternel. En dehors donc de la faveur du Pape et de la bienveillance du Roi, il cherche à son jeune État, lui « prince nouveau, » un fondement, fondamento. Aussi « l’ami qui parle, » et tous les amis de ce genre, exaltent-ils à l’envi la qualité de son amitié. A une union, Florence a plus à gagner que le duc. Les deux plaies de Florence sont Pise et Vitellozzo. « Si l’on vous rendait l’une et si l’on éteignait l’autre, ne serait-ce pas pour vous grand bénéfice ? » La proposition est faite ; on prévoit les objections ; on les écarte. Avec les Orsini, César est obligé de garder des ménagemens, mais Vitellozzo, « c’est un serpent venimeux, et le feu de Toscane et d’Italie ! » Au surplus, le roi de France pourrait bien contraindre la Seigneurie à se rendre au désir du duc. Ne vaut-il pas mieux qu’elle le fasse de bon gré ?

Le désir, c’est toujours la condotta ; et là, Machiavel est vraiment beau. Une condotta, bon pour « ces seigneurs qui n’ont que le carrosse ! » mais ce n’est pas à leur taille qu’il faut mesurer César, maître de l’État qu’il possède : il faut raisonner de lui comme d’une nouvelle puissance en Italie, et faire avec lui une amitié ou une ligue, mieux qu’une condotta. Mais l’amitié entre seigneurs ne se maintient que par les armes ; comment en faire une, si les trois quarts ou les trois cinquièmes de nos armes sont aux mains du duc ? Ce n’est pas qu’on ne le juge point homme de foi, mais il ne faut rien faire qui puisse exposer à être ingannati. Quant au roi de France, il peut tout faire, mais il ne peut pas l’impossible… Diversion et riposte inutiles. L’amico n’en démord pas ; l’amitié, sans la condotta, demeure in generalibus. Sur le chiffre on peut discuter : 300 hommes d’armes, ou seulement 200, mais la condotta ! Et il n’est pas douteux que c’est bien César qui fait parler ainsi « l’ami qui parle, » ou l’un des premiers hommes qu’ait le seigneur, » peut-être messer Agapito, le secrétaire, peut-être le trésorier, messer Alessandro.

Ces discussions au sujet de la condotta vont de la sorte traîner sans avancer jusqu’à la fin de décembre 1502, jusqu’à la