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à cet optimisme, ne craint point d’abuser de ses forces, commet des imprudences se laisse surprendre par l’accident ou la maladie, est obligé de s’aliter, répare ses forces en se reposant, et reprend sa course comme auparavant.

Il en est de même pour les affaires. En temps normal, elles marchent bien, sans excès. Chacun gagne largement sa vie et est heureux de s’accorder quelque douceur supplémentaire selon ses goûts. Tout le monde augmente ses dépenses et accroît la consommation des produits manufacturés de toutes sortes. Les stocks diminuent ; les industriels, pour suffire à la demande, développent leur outillage ; il se crée de nouvelles usines et, pour nous servir de l’expression consacrée, les affaires appelant les affaires, l’activité est générale. C’est la période de prospérité, mais aussi celle de la préparation de la crise. Bientôt la spéculation, chère à la nature humaine, et toujours prête, entre en jeu ; ce ne sont pas seulement les marchandises qui, très demandées, haussent de prix, ce sont aussi et surtout les sociétés par actions qui, bénéficiant de la prospérité générale et augmentant leurs dividendes, voient leurs titres recherchés et en hausse. Une véritable maladie morale s’empare de l’humanité ; il règne une épidémie financière ; l’agiotage et l’ivresse du jeu pénètrent dans toutes les classes de la société, exagérant les prix d’une façon anormale ; c’est ce qu’on pourrait nommer la période dévolution.

Mais la cherté fait reculer la demande d’autant plus que la consommation a satisfait à peu près ses désirs du moment. Les stocks s’accumulent et leurs détenteurs, encore grisés, ne voulant pas se soumettre à des concessions, doivent avoir recours au crédit déjà gonflé par l’exagération des affaires. Le jour vient où le plus petit événement, fût-ce même la simple goutte d’eau qui fait déborder le vase, obligent à réaliser, et où les offres tombent dans le vide ; c’est la débâcle, c’est la crise aiguë ; c’est ce qu’il convient d’appeler plus exactement, selon l’expression moderne, le krach. Alors tout s’effondre : les imprudens succombent, entraînant même dans leur ruine les braves gens qui ne se sont pas suffisamment garés ; il faut vendre n’importe comment, et les prix tombent bien au-dessous de la valeur réelle des choses. On en est à la période de liquidation qui dure plus ou moins longtemps selon que l’exagération en sens contraire a été plus ou moins forte.