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en a ri, et dit que l’appointement était une « amusette, » un « lanterne-les, » — un tiengli a bada. Le duc temporise en attendant « sa belle. » Que ce mystère est énervant ! Ne s’y trame-t-il rien contre Florence ? Machiavel, homme d’imagination grossissante, avant que la froide raison soit redevenue maîtresse et ait remis chaque chose en sa place et à sa mesure, est attentif au moindre signe : « les secrétaires du duc sont plutôt « devenus sauvages ; » avec lui… Un envoyé qui est ici pour le duc de Ferrare, et qui me fréquentait volontiers, me fuit ; et, ce soir après souper, messer Alessandro Spannocchi s’est servi de certains mots qui ne m’ont pas plu, insinuant que Vos Seigneuries avaient eu le temps de s’arranger avec le duc, et que ce temps était passé. »

Enfin, le 30 octobre, il pense bien être tiré d’incertitude. César, de sa bouche, lui confirme l’accord ; il lui en promet une copie, et, à part lui, Machiavel se promet à lui-même d’en avoir une le lendemain, de toute manière ; puis de nouveau, selon ses instructions, le secrétaire s’étend en un discours Henri. Le duc y coupe court : « Il répondit peu de mots, aimables pourtant ; mais il passa rapidement. » Spannocchi aurait-il dit vrai ? et Florence aurait-elle tardé trop ? Machiavel se précipite chez l’amico ; il le presse de tous côtés. Mais non, il n’y a rien : tout est au mieux des intérêts de la Seigneurie… Seulement, le duc est remis avec les Orsini. Le temps coule, l’argent et les gens d’armes arrivent. Ce qui n’arrive pas, c’est la copie promise : « Je veux vous dire la vérité, dit messer Agapito à Machiavel ; ces capituli ne sont pas encore absolument fermes. On avait oublié une clause concernant le roi de France, à laquelle le duc tient par-dessus tout ; aussi m’a-t-il fait courir après Paolo Orsini qui les portait aux autres. Mais voilà : sans cette clause, le duc ne veut rien conclure, et, avec elle, c’est Paolo qui ne veut pas… Qu’en résultera-t-il ? Ou ce chapitre sera accepté, ou il ne le sera pas : accepté, c’est une fenêtre ouverte au duc pour sortir de l’accord à son heure ; non accepté, c’est une porte. Mais, de tels capituli, jusqu’aux petits enfans se doivent rire, étant faits par force avec tant d’injure pour le duc et tant de péril pour lui. »

Cet accord fait, ou à demi fait, personne n’y croit. Les Orsini eux-mêmes ne devraient pas, ne peuvent pas croire au pardon. Alessandro da Marciano prétend savoir qu’ « il y a chez le duc plutôt un désir de vengeance contre qui a mis en danger