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discipline religieuse » compliquaient cette naturelle sympathie et comme, l’un après l’autre, ces différens soutiens avaient manqué à leur promesse, un instant, Romola avait cru que cette sympathie elle-même n’était aussi que vanité et mensonge. Mais elle se réveille.

Ce désir de la mort n’était qu’un mauvais égoïsme. Quand tout le reste est douteux, cette souffrance-là que je puis secourir est trop certaine. Si la gloire de la croix est une illusion, la douleur humaine n’en est que plus vraie. Tant que mon bras aura assez de force, il se tendra vers ceux qui tombent, tant que mes yeux verront la lumière, ils chercheront les abandonnés.

J’ai déjà dit qu’après une période assez courte d’irréligion agressive, George Eliot avait reconnu que la croyance au surnaturel était chez la plupart et pour aujourd’hui une des conditions nécessaires de la vertu. Il importe donc de voir surtout dans ce passage de Romola l’expression de la pensée personnelle de l’auteur. Plus jeune et encore chimérique, elle avait écrit : « Dieu nous aide, dit la vieille religion, et la nouvelle, précisément parce qu’elle ne croit plus, ne nous apprendra que mieux à nous aider les uns les autres. » L’exaltation de ces espérances est bientôt tombée, mais chez elle le fond de cette pensée restera toujours. Plus nous sommes seuls et orphelins du côté du ciel, plus nous devons nous aimer. Ah ! si c’était vrai qu’il y eût là-haut, plus tard, des compensations infinies ! Mais rien de tout cela n’est prouvé. En attendant, nous souffrons, l’on souffre à côté de nous, et nous devons prendre garde que cet espoir pour nous et pour autrui, d’une consolation céleste, ne nous aide à nous accommoder plus facilement des souffrances du prochain.

D’ailleurs, quoi qu’il en soit des philosophies et des religions, rien n’est plus clair, ni plus pressant que notre devoir envers nos compagnons de misère. C’est la grande et apaisante leçon d’une chambre de malade.

Voici du moins un devoir sur lequel tout le monde est d’accord. Ici, pas un coin où le doute trouve à se loger, pas de système qui puisse contredire l’impulsion de notre cœur. Ici, pas de question préalable, pas d’examen avant d’agir. Humecter les lèvres du malade pendant les longues insomnies, soutenir sa tête qui retombe, soulever les membres inertes, deviner les désirs qui ne s’expriment que par un faible mouvement de la main ou un regard de prière… Entre ces quatre murs… où un être humain est étendu, livre à la pitié de son semblable, la relation morale d’homme à homme est réduite à une clarté et simplicité extrêmes. Inclinées sur le lit du malade, toutes les