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de toute ma vie l’époque où j’ai eu le plus de bien-être. C’est si bon de trouver enfin des gens qui n’ont pas pour principe de donner le moins possible et de recevoir le plus… » « Je puis tout leur dire, écrit-elle encore, M. d’Albert comprend tout et si Madame ne comprend pas, elle y va de confiance, toujours sûre que j’ai dit quelque chose d’édifiant. Elle m’embrasse comme une mère et je suis assez enfant pour trouver que cela augmente beaucoup mon bonheur. »

Veut-on qu’elle précise encore plus son idéal ? En voici, je pense, un très clair symbole, la maison où elle est ainsi heureuse. « Je trouve un charme indicible à cette façon de faire son nid. Vous vous arrêtez devant une maison d’assez piètre apparence. Vous grimpez un escalier de pierre, sombre et froid. Vous sonnez à une porte modeste et vous entrez dans un appartement confortable ou même élégant. On est si à l’abri des importuns, si garanti contre les distractions du dehors, si préservé des courans d’air, un nid enfin, un vrai nid, tapissé de duvet, au sommet d’un bon vieil arbre. J’ai toujours soupiré après une vie de ce genre. C’était le sûr instinct de ce qui me convenait. »

Elle est heureuse et, notez la conséquence immédiate, les puissances de sympathie qui sont en elle deviennent plus librement, plus joyeusement actives. Son amitié, jusqu’ici dans ses lettres un peu solennelle, se détend et s’abandonne. À d’autres soucis plus précis et positifs, succède la douceur de penser à ses amis, de se les imaginer, de les suivre dans le détail de leurs journées et de le leur dire. La vie de là-bas, hier encore grise et pesante, se transpose et se transfigure.

Je me représente très nettement Mrs Pears dans sa maison de Leamington. Comme toute cette existence de Foleshil ! me paraît belle maintenant, semblable à la vision matinale des cimes lointaines du Jura !… Écrivez-moi. Cela va si bien à mon humeur de vivre ainsi à la fois en deux mondes différens. Mes chers amis, mes vieux souvenirs, je les ai dans ma pensée, et, devant moi, un autre monde de nouveauté et de beauté où je me promène… c’est le premier dans lequel j’habite au vrai sens du mot. Ainsi, après tout, je ne jouis jamais autant de mes amis que lorsqu’ils ne sont pas là.

Ne vous semble-t-il pas que sa plume, sa jolie plume, qui va d’ordinaire au pas, se met à courir ? Et son cœur est comme sa plume, plus spontané, plus alerte, depuis que ce rayon de bien-être et de simple affection l’a réchauffé.