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bruyamment avec l’anglicanisme. Malgré les instances de son père, elle n’ira plus à l’église, le dimanche. M. Evans se désole, se fâche. Marie-Anne disparaît pendant trois semaines, se calme et revient. Encore un coup, il y a du volcan dans tout cela. Essais tumultueux de ferveur religieuse, bouillonnement d’incrédulité agressive, cette jeunesse triste et comprimée éclate ainsi par momens et nous étonne. Gardons-nous de juger sur de tels éclats une nature qui se cherche elle-même et jusqu’ici ne s’est pas encore révélée.


II

On se tromperait, je crois, en attribuant à la même ardeur fiévreuse, une œuvre à laquelle elle se consacra vers le même temps. Une amie, forcée de renoncer à la traduction de la Vie de Jésus de Strauss, lui passa la besogne à peine entamée. Plus tard George Eliot aurait sans doute hésité à populariser un livre qui pouvait ébranler la foi de plusieurs, mais rien ne montre qu’en acceptant ce travail elle ait obéi surtout à une pensée de propagande. Elle était alors presque sans ressources ; de plus, cette besogne de rencontre lui donnait le moyen d’utiliser de vastes lectures et de s’assouplir la plume. Après ce que nous remarquions tantôt sur les limites de sa sensibilité religieuse, on sera moins surpris de la paisible indifférence avec laquelle elle attaque ce grand sujet. La fatigue et, par momens, le dégoût dont ses lettres nous font la confidence viennent presque uniquement de la difficulté et de la monotonie d’un pareil travail. Pourtant, vers la fin, un scrupule l’arrête. Son cœur et sa main semblent reculer. « Miss Evans me dit qu’elle est malade de Strauss (Strauss-sick), écrit Mme Bray, cela lui fait mal de disséquer cette merveilleuse histoire du crucifiement, et il ne faut rien moins pour lui donner du courage que l’image du Christ qui est devant elle. » Ne vous trompez pas à cette émotion, et reconnaissez une fois encore la George Eliot d’Adam Bede et d’Amos Barton. Elle ne pleure pas sur sa foi évanouie, mais sur le nouveau et plus terrible calvaire où la critique fait monter le Christ. Car déjà, après quelques semaines d’injustice et d’oubli, elle se reprend à aimer l’histoire unique dont l’humanité s’est enchantée pendant de longs siècles, la divine figure de celui qui n’est plus pour elle qu’un philosophe, mais qui, — force m’est bien de