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distance au moyen des fanaux, qui fut le premier des télégraphes. Cette manière nouvelle de comprendre l’histoire, faite de recherches exactes et d’observations précises, convenait parfaitement aux Romains dont on a dit qu’ils étaient avant tout avides de choses utiles, utilitatum rapacissimi. La Grèce, seule entre toutes les nations du monde, a eu ce mérite d’unir dans une parfaite harmonie des qualités opposées, le goût des fantaisies les plus audacieuses et le sens le plus sûr du réel ; la théorie, chez elle, n’a pas fait tort à la pratique ; elle a aimé passionnément l’art et la poésie, et elle a cultivé avec un succès merveilleux les sciences les plus arides. Par une bonne fortune rare, la société romaine du temps des Scipions, grâce à la diversité des esprits qui se sont chargés de faire son éducation, a connu également la Grèce sous ses deux aspects et a pu saisir, ainsi, son génie tout entier.

Dans l’ouvrage de Polybe, les Grecs n’avaient pas moins à apprendre que les Romains. Ils avaient un grand intérêt à connaître Rome, et leurs écrivains ne leur en donnaient pas toujours une idée juste. Polybe, quand il s’y établit à l’appel de Paul Emile, éprouva une impression qu’il ne cherche pas à cacher. Il venait d’assister à l’asservissement de son pays, il avait devant les yeux toutes les fautes que ses compatriotes avaient commises, il connaissait par une triste expérience les défauts dont ils ne voulaient pas se corriger et qui leur avaient coûté la liberté ; et précisément il trouvait à Rome, et au plus haut degré, les vertus contraires. Son admiration s’accrut par le contraste. Il’ était de plus le partisan le plus convaincu du gouvernement aristocratique, et il accusait la démocratie d’avoir perdu la Grèce. On juge de sa joie quand il put voir à l’œuvre cette grande aristocratie romaine, qui possédait le pouvoir et savait si bien s’en servir. Il lui sembla que ce rêve d’un gouvernement accompli, qu’il avait fait pour son pays sans pouvoir l’exécuter, se réalisait sous ses yeux. Il assista aux funérailles d’un grand personnage, et quand il vit les images des aïeux, revêtus des ornemens de leurs dignités, accompagner leur petit-fils et se ranger autour de lui, au Forum, sur des sièges d’ivoire, pour entendre le plus proche parent du mort prononcer son éloge et celui de toute sa race, il éprouva la plus vive émotion que son âme calme pût ressentir. « Il n’y a pas, dit-il, de spectacle plus capable d’enivrer un jeune homme qui aurait quelque passion pour la gloire et