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de lui envoyer un philosophe de choix pour instruire ses enfans. Dans la suite, la maison de Scipion à Rome resta ouverte aux Grecs d’importance qui couraient le monde, et nous savons que deux d’entre eux y séjournèrent longtemps ; c’étaient Polybe et Panæptius : il n’y en avait pas de plus illustres en Grèce à ce moment.

Panætius n’est pour nous qu’un grand nom. Ses ouvrages sont perclus, et nous ne savons de lui que ce qu’on en a dit. Cicéron l’appelle « un homme presque divin, » et il laisse entendre qu’il a introduit la philosophie grecque à Rome. Ce n’était pas une entreprise facile, car les Romains, à l’origine, avaient peu de penchant pour elle ; Panætius trouva le moyen de l’accommoder à leur tempérament et à leur goût. Au lieu d’envelopper ses idées de cette obscurité qui leur donne une apparence de mystère et de profondeur, il les exprimait en termes clairs, et à la portée de tout le monde (popularibus verbis et usitatis). Il s’occupait volontiers des questions de morale pratique, et le grand ouvrage auquel son nom reste attaché est le traité des Devoirs qui fut imité par Cicéron. Il avait cru devoir mettre à son école l’étiquette du stoïcisme, mais ce n’était qu’une étiquette. Il se permettait souvent de se séparer de ses maîtres, et, par exemple, nous savons qu’il n’acceptait pas toutes leurs opinions sur la divination et les oracles. Il ne se faisait aucun scrupule de citer, dans ses leçons, Xénocrate et Aristote, et il appelait Platon l’Homère des philosophes. Il avait composé un ouvrage sur la manière de supporter la douleur, qui était dédié au neveu de Scipion, Ætius Tubero, l’un de ses meilleurs élèves. Il se gardait bien d’y prétendre que la douleur n’est pas un mal, ce qui est la vraie doctrine de la secte ; il se contentait de soutenir qu’on doit la supporter. Avec ces ménagemens habiles, en y ajoutant à l’occasion quelques éloges qui allaient au cœur des vieillards à propos de la loi des Douze Tables et des Sentences d’Appius l’aveugle, il parvint à vaincre la résistance de ces obstinés. Il avait eu le mérite de comprendre du premier coup ce que devait être la philosophie pour plaire aux Romains, et ce qui prouve qu’il ne s’était pas trompé, c’est que jusqu’à la fin elle est restée ce qu’il l’a faite.

Nous connaissons mieux Polybe et ses rapports avec Scipion, car il nous les a racontés lui-même. Nous savons que, compris parmi les mille otages achéens qu’on déporta en Italie, sous prétexte d’assurer la paix de la Grèce, il obtint, à la demande de Paul