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déjà fait chez eux une certaine réputation, mais que gênait la concurrence, et qui espéraient trouver à Rome, sur un terrain moins encombré, un emploi plus avantageux de leur talent, se glissèrent dans la maison de quelque grand personnage ; ils élevaient ses enfans, l’aidaient dans la préparation de ses discours ou l’égayaient de leurs conversations savantes. Des Grecs de cette classe, plusieurs nous sont connus, et nous pouvons nous rendre compte des services qu’ils ont rendus à l’hellénisme dans les grandes maisons romaines. Mais il y en avait d’autres, que Plaute nous fait connaître, et que nous ignorerions sans lui ; ceux-là n’avaient pas de si hautes visées et se mêlaient familièrement au bas peuple de Rome[1]. On les rencontrait sur la place publique, leur pallium relevé sur leur tête, avec des livres sous le bras, — car le Grec, à quelque degré qu’il soit de la société, est toujours un peu maître d’école, — et tenant à la main cette petite corbeille d’osier qu’emporte le client, quand il va voir son patron, pour y mettre ce qu’on lui donnera. A l’occasion, il entre avec les autres dans le cabaret et ne marche pas toujours droit quand il en sort ; mais il reste grave, comme il convient à un sage, et continue à débiter ses belles sentences. Etaient-ils assez nombreux, comme Plaute le laisse entendre, pour barrer le chemin, dans la rue, aux gens pressés ? Dans tous les cas, il y en avait beaucoup, et ils étaient trop actifs, trop insinuans pour ne pas exercer quelque action sur cette partie du peuple qui aurait dû, à ce qu’il semble, échapper aux prises de l’hellénisme. D’abord, ils l’habituaient à entendre parler le grec et lui rendaient l’usage de leur langue plus familier. Il y a beaucoup de mots grecs dans les comédies de Piaule, et ils n’y sont pas mis seulement, comme l’allemand ou l’anglais dans nos vaudevilles, pour égayer le public, mais pour rendre l’idée plus frappante et parce qu’ils étaient entrés dans le courant du langage ordinaire ; et ce ne sont pas toujours des mois isolés, mais des pli rases entières, des fragmens de dialogues, des proverbes, des chansons. Si le poète n’hésite pas à s’en servir, c’est qu’il est sûr d’être compris de ses spectateurs, et sur tous les gradins.

Mais voici ce qui mérite surtout d’être remarqué. — La Bruyère disait de Rabelais qu’il y a chez lui un monstrueux assemblage de la morale la plus fine et la plus ingénieuse et de

  1. Le portrait qui suit du græculus se trouve dans le Curculio, II, 3.