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fois, et cela même indique en quoi la littérature romaine diffère principalement de celle des Grecs dont elle est issue. En Grèce, les genres littéraires sont un produit naturel et spontané de l’esprit. Ils sortent à leur temps, les uns des autres, par un progrès dont on peut se rendre compte, et chacun d’eux a sa raison d’exister. Les caractères qu’ils ont pris, les parties dont ils se composent, les aspects différens sous lesquels ils se présentent, tout chez eux, s’explique par leur origine. De là quelque chose de vivant, un air de vérité, de sincérité, qu’ils ne peuvent pas avoir à Rome, où ils se sont produits tous ensemble, et comme une exportation de l’étranger. C’est une infériorité dont il faut prendre son parti, quand on étudie la littérature des Romains. Malgré l’effort d’hommes de génie et le talent qu’ils ont déployé dans leurs ouvrages, on sent chez eux que la forme n’a pas été faite pour les idées qu’elle recouvre ; dans cet art d’imitation, la technique aura toujours quelque chose de factice. Heureusement, le peuple qui l’a empruntée à ses voisins n’en est pas moins un grand peuple ; il a le sentiment de sa force, l’orgueil de ses destinées ; il possède une personnalité puissante qui le met à part et au niveau des plus grands, et dans ces cadres, qu’il n’a pas trouvés lui-même, il mettra son originalité.


III

La fin du VIe siècle est une grande époque pour Rome ; elle a définitivement triomphé de Carthage et entame la conquête de l’Orient. Délivrée des inquiétudes terribles qu’elle vient de traverser, assurée de l’avenir, rien ne l’empêche plus de céder à l’attrait qui la porte vers l’imitation de la Grèce. Mais l’a-t-elle fait, et dans quelle mesure ? Où en est-elle véritablement de sa culture littéraire et de cet adoucissement des mœurs, qui en est la suite, au moment où commence la guerre de Macédoine ? Nous le savons à peu près pour les classes élevées de la société, dont il est souvent question chez les historiens du temps. A propos du peuple ou de la petite bourgeoisie, qui sont moins en lumière, nous risquerions de les ignorer, si nous n’avions pas les comédies de Piaule. Pour en avoir quelque idée, c’est à elles qu’il faut que nous nous adressions.

Plaute occupe, parmi les écrivains de Rome, une place particulière. Presque tous les autres ont vécu dans la clientèle de